Le puits de guerre #3

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Castiel avait ouvert sa veste pour laisser son cou respirer. Une goutte de sueur lui coula le long du coup et il leva la tête vers le ciel. La pluie, ce n'était plus que le souvenir de la veille, le soleil, qui s'était tant fait désirer, avait apporté la chaleur avec lui et cognait sur les visages pâles des poilus. Le jeune garçon en avait même profité pour retirer ses godasses défoncées et avec un reste de vêtements, il avait pris le temps de les rafistoler de son mieux. Il aurait pu prendre celles d'un mort qui pouvaient encore être intactes, mais la culpabilité qu'il ressentirait et le dégoût qui le prendrait lui suffisaient pour y renoncer.

"-C'est comme ça la guerre gamin, il va falloir faire des choix difficiles pour s'en sortir" lui avait-on dit avant que l'affrontement ne reprenne.

Ca faisait quelques heures que les tirs avaient cessés et que les bombardements c'étaient éloignés. L'arrivée du beau temps avait aussi poussé les adversaires à s'accorder un peu de repos bien mérité.

Castiel se laissa glisser contre une paroi et étala ses jambes.

Ses pieds étaient recouverts de cloques et de griffures infectées mais il n'en avait plus rien à faire. Il était persuadé que de toutes manières, il n'allait pas survivre longtemps. Ca lui avait prit pendant une nuit de la semaine dernière, il avait recommencé à penser à l'issue fatale. Il avait essayé de s'exposer aux tirs sans qu'on l'observe de son côté, mais un camarade, qu'il n'avait pas remarqué puisque caché derrière un renfoncement s'était jeté sur lui et l'avait poussé au sol une seconde avant qu'une balle ne siffle au-dessus de leurs têtes et vienne s'écraser dans la terre où la tête du soldat se trouvait juste avant.

"-Ne fais pas ça gamin, c'est une terrible erreur."

Castiel n'avait rien dit, il avait seulement grogné de frustration mais aussi de peur parce que la seconde d'après, il regrettait déjà sa décision stupide.

Et la minute d'après, celui qui venait de lui sauver la vie, se faisait descendre parce qu'il avait relevé la tête et s'était affiché dans le viseur de ce même soldat qui avait failli tuer le brun.

Chaque nuit qui avait suivie depuis, Castiel voyait ses fantômes, et ce soldat, qui ne devait avoir qu'une dizaine d'années de plus que lui, était installé au premier rang avec ce regard accusatif et réprobateur.

Il plongea la main dans le fond de sa poche et extirpa le seul objet concret qu'il avait eu dans la main depuis de longues journées.

Un petit bracelet avec quatre perles en bois et six noires avec un squelette au milieu. Mais il n'avait rien à voir avec ceux qu'il voyait tous les jours. Celui-ci avait quelque chose d'apaisant, de serein voir même d'accueillant.

Castiel le tourna sous tous les angles, essayant de déchiffrer la signification qu'il pouvait y avoir derrière ce petit bijou mais il ne trouva rien à se mettre sous la dents.

Seule l'attache l'intriguait. Elle était brisée, comme-ci elle s'était arrachée. Il imagina le soldat allemand, dans l'empressement, en train de remplir sa gourde et par mégarde, s'accrocher quelque part et tirer au point de briser le morceau de cuir. Il tira sur le petit morceau et se rendit compte qu'une inscription était gravée en petit dans la matière. Il plissa les yeux et essaya de lire, mais tout ce qu'il pu comprendre fût le "M" inscrit.

Il se surprit subitement à être attristé de voir que ce bracelet avait une valeur aussi chère à ses yeux et sûrement parce qu'il provenait d'une personne assez proche comme une petite amie.

Castiel enfouit le bracelet dans le fond de son pantalon et se leva. Il enfila de nouveau son uniforme et remit ses chaussures. Il se dirigea lentement vers le groupe de soldats qui s'échangeait des cigarettes en jouant aux cartes.

"-Je vais chercher de l'eau, est-ce que vous savez où sont les gourdes?"

Des paires d'yeux convergèrent vers lui et un vieil homme, qui retira le mégot d'entre ses lèvres, montra un petit trou dans la terre.

"Elles sont dans la réserve p'tit gars. C'est bien gentil de ta part."

Castiel sourit et se dirigea vers l'aménagement qui servait de rangement. Il se pencha et enfonça sa main dans la crevasse pour y repêcher deux gourdes sales et cabossées.

Il enfila son casque et longea les tranchées pour se diriger vers la forêt où le puits qu'il connaissait si bien l'attendait sagement.

L'arme en main, les gourdes coincées dans les poches, il avançait lentement, tous les sens en éveils. Il n'était pas stupide, ce n'est pas parce que le feu a cessé qu'ils ne sont plus en guerre. Il pouvait se faire attaquer à n'importe quel moment, et il n'avait vraiment pas envie de mourir sous la poudre d'un allemand.

Il reprit le même chemin habituel mais cette-fois-ci il n'eut pas besoin d'éviter toutes les crevasses et les flaques d'eau. Le sol était chaud et sec.

Arrivé au puits, il s'agenouilla comme à son habitude près du seau et déposa son arme contre le petit muret. Il lança la corde vers le fond, faisant ricocher le vieux récipient en fer et tira sur la corde pour le faire remonter. Là-haut, il le posa sur le rebord et remplit ses gourdes en essayant d'en mettre le moins possible parterre. Régulièrement, environ toutes les vingt secondes, il jetait un coup d'oeil autour de lui, veillant à être bien seul. Acceptant le calme comme un véritable cadeau, il en profita pour se rafraîchir et retira son vieux casque. Il ouvrit un peu son uniforme et plongea la main dans le seau avant de se barbouiller le visage. Il apprécia tellement cette sensation qu'il ferma les yeux et laissa ses pensées divaguer vers d'autres souvenirs plaisants.

Il se frotta les cheveux, soufflant presque de plaisir en sentant la terre glisser contre son cou et tomber au sol. Il secoua la tête, éclaboussant autour de lui et se figea.

Son instinct lui criait de courir et de retourner dans sa tranchée, mais il ne devait pas oublier le but de sa mission aussi. Il enfouit les deux gourdes dans ses poches et à bout de bras, il attrapa son casque et son fusil et s'enfuit à toute vitesse vers les arbres épais. En courant, il donna un coup de sa baillonnette dans le seau qui se renversa sur le sol dans un bruit creux.

Il n'accorda pas le moindre regard à celui qui l'avait fait détalé, tout ce qu'il espérait était qu'il était aussi doué pour tirer que lui mais il n'entendit pas la moindre balle ou pas derrière lui. Peut-être ne l'avait-il pas vu? Si c'était le cas, il avait eu de la chance, à l'avenir il devrait être plus prudent. Aujourd'hui, il avait fait une erreur qui aurait très bien pu lui coûter la vie.

Il s'arrêta, le coeur au bord du précipice et se retourna. Son poursuivant n'avait rien d'un poursuivant, c'était lui. Le jeune soldat qu'il avait surpris quelques jours plus tôt.

"Il sait que je suis là", songea-t-il en voyant le soldat regarder autour de lui, les sens en alerte.

Malgré tous ses efforts pour lui échapper, il n'avait pas été assez discret, et maintenant, une arme était pointée vers le buisson derrière lequel il s'était abrité. Anéanti par la peur et le chagrin, il prit la décision de mourir en essayant au moins de se défendre, mais alors qu'il s'apprêtait à se jeter à corps perdu sur le canon de l'autre, celui-ci baissa son fusil et le posa à terre. Puis, il lui tourna le dos et s'agenouilla auprès du puits. Castiel se leva lentement, et calcula la distance qu'il le séparait d'un arbre pouvant complétement le protéger. Il prit son courage à deux mains et bondit. En s'écrasant contre les racines, il cogna son genou et ravala un petit cri de surprise plus que de douleur. En dérapant sur des feuilles sèches, il s'enfuit, laissant tomber une des gourdes qui se renversa dans un bruit métallique.


OS Destiel & MultiverseDonde viven las historias. Descúbrelo ahora