[Partie 1] Chapitre 1 :

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Tout était trop beau pour être réel. Tout avait toujours été trop beau pour que la vie reste telle quelle. La réalité allait rarement de pair avec la beauté et il fallait bien qu'un jour, tout bascule ; nous ouvrant soudainement les yeux sur la laideur du monde.

Un choc. Inébranlable.


– Salut Léa, à demain !

– Au revoir Laë !

Les deux petites filles esquissèrent un geste de la main en se séparant, retrouvant leur maîtresse respective. Puis, elles regagnèrent leur maison et appartement en trottinant.

Entre cinq et dix ans, l'école n'était pas obligatoire pour les jeunes Sortilistes habitant Psöryos. Les classes, bien que restreintes, étaient empruntes de banalités. Certes, ils y apprenaient les bases de la lecture, de l'écriture et des mathématiques. Néanmoins, les familles les plus fortunées ou les plus désireuses de connaissances pouvaient faire appel à des instituteurs privés et particuliers.

Léa, la brunette, s'échappa dans l'une des rues tandis que son amie, la jeune Laëticia, suivit Mademoiselle Penny jusqu'à son domicile. L'institutrice n'était pas une grande femme mais demeurait néanmoins légèrement imposante. Elle possédait une chevelure aussi sombre que flamboyante coupée excessivement en diagonale et de nombreuses tâches de rousseur rongeaient sa peau claire.

Pour sa part, l'enfant de neuf ans gambadait gaiement, faisant voltiger ses tresses d'un magnifique blond vénitien. Guère plus haute que trois pommes, elle passait le plus clair de son temps à sautiller, adressant un petit signe de la main aux personnes qu'elle connaissait. Sa petite frimousse d'ange attendrissait n'importe qui, car on devinait sans peine qu'elle était la gentillesse incarnée.

Malgré le fait que Léa passait régulièrement à la maison, ce fut un tout autre événement qui la renferma sur elle-même.


Ce jour-là, Mademoiselle Penny débuta le cours de son élève par la leçon d'histoire la plus traumatisante de sa vie. Elles étaient toutes deux installées sur la table de la cuisine dans l'unique pièce commune de la maisonnette. Par conséquent, les vieux fauteuils en cuir qui composaient le salon ne se trouvaient pas très loin.

L'institutrice lui contait la période de la plus grande guerre du monde des Sortilistes et les raisonnements atroces de ses dirigeants.

– Après maintes recherches et perquisitions, on parvint à démontrer c'était un groupe de Ménas qui avaient commis des atrocités que je ne pourrais même pas t'évoquer. Car oui, avant, les Ménas vivaient avec nous, sur Natilma ou N'Brosios, la deuxième île habitable de notre monde. À cause de cette guerre, la dirigeante de l'époque décida d'envoyer tous les Ménas, sans exception, sur Setchâ, l'île animalière.

– Penny, l'interrompit son élève avec une moue dubitative. C'est quoi les Ménas ? C'est des monstres ?

– Non Laëticia, rit sa professeure. Ce sont des Sortilistes, tout comme nous, qui sont simplement nés à une date bien précise.

Les minuscules sourcils de la petite se froncèrent d'incompréhension.

– Laquelle ? s'enquit-elle.

– Cette date ne rentre pas dans les comptes d'une année. Elle arrive généralement tous les quatre ans et se situe entre le mois de Février et celui de Mars.

– Et... demanda la petite d'une voix chevrotante. Qu'arrive-t-il à ces... Ménas ?

– Ce n'est pas le jour de leur dixième anniversaire puisqu'ils n'en ont pas cette année-là, mais c'est tout comme. Le vingt-huit Février, ils doivent dire au revoir à leur famille et prendre le bateau jusqu'à Setchâ et y rester jusqu'à la fin de leur vie. De plus, les parents et les familles y sont interdits d'accès. C'est... C'est cela le malheur.

Mademoiselle Penny inspira une grande bouffée d'air afin de paraître plus stable avant de se tourner vers son élève. Cette dernière avait le teint pâle, livide. Une boule désagréable avait pris possession de sa bouche.

– Tout va bien ? s'enquit l'institutrice, soudain inquiète.

La jeune fille ne répondit pas, se contentant de se lever avec difficulté. Une fois debout, elle chancela dangereusement. Elle repoussa pourtant l'aide de la femme et tituba jusqu'à sa chambre avant de s'effondrer sur son lit. Sa maîtresse, alarmée, vint s'installer à son chevet. L'enfant pleurait de tout son corps.

– Penny, se lamenta-t-elle. Je... Je ne veux pas... dire au revoir... à Papa et... Maman.

– Laëticia...

L'institutrice glissa une main dans la chevelure blonde vénitienne de son élève d'un geste aussi maladroit que se voulant maternel.

– Sèche tes larmes, tout va bien.

Sa voix semblait posséder la douceur d'un nourrisson. Cependant, cela ne calma pas la tempête de tristesse qui écumait de tous les côtés.

– Je... ne veux pas, répéta-t-elle. Maman et... Papa...

– Laëticia, tu...

L'enfant ne lui laissa pas le temps de poursuivre et lui coupa la parole, presque involontairement.

– Mais tout ce que tu as dit me correspond ! assura-t-elle d'une voix étonnamment calme et pleine de gravité. Je... Je suis une Ménas ??

Le front de la femme se plissa d'inquiétude.

– Toi ? Laëticia...

– Je suis née après le mois de Février, avant celui de Mars. Et on a réellement fêté mon anniversaire qu'à mes quatre et mes huit ans.

Un court silence s'installa, mais la jeune fille le rompit rapidement :

– Et je vais quitter ma famille dans quelques mois.

*

Romane et Pierrot, les parents de Laëticia, rentraient plutôt tard de leur travail respectif. Lorsqu'ils regagnèrent le domicile familial, une ambiance inhabituellement tendue pesait. La plupart du temps, lorsqu'ils franchissaient la porte d'entrée, la jeune fille courait vers eux, les étreignait brièvement avant de s'exclamer : « Papa, Maman, j'ai appris plein de choses aujourd'hui ! » Puis, elle débitait ses nouvelles connaissances sous le sourire de sa professeure.

Or, ce jour là, lorsqu'ils rentrèrent, cette dernière lisait, tranquillement assise sur l'un des vieux fauteuils du salon. Son élève n'était visible nulle part.

– Où est Laëticia ? s'informa sa mère, une moue interrogatrice peinte sur le visage.

L'institutrice se contenta de désigner la chambre de l'enfant, sans prononcer le moindre mot. 

Octo/ tome 2 • L'appelWhere stories live. Discover now