Laëticia marchait sur Setchâ, seule, dans le silence. Le silence ? Elle se rendit rapidement compte que non. Le silence n'existait pas. Pas ici.
Les oiseaux pépiaient, les insectes bourdonnaient. Et les bruits que faisait l'enfant, avançant péniblement dans la forêt, surpassait tous ces bruits. Épuisée, elle s'assit sur une branche basse et écouta ce faux silence. Pas de bruits humains, comme sur Natilma. Simplement le gazouillement de la nature et les craquements des arbres par le vent.
Reprenant sa route, la petite fille traînait ses affaires derrière elle, déambulant entre les troncs de toutes sortes. Épais, noueux, secs... La liste semblait infiniment longue.
La terre humide s'accumulait sous ses chaussures et l'ombre des grandes feuilles dégoulinantes lui donnaient froid dans le dos. Elle supposa qu'il avait plu la veille.
À un moment donné, elle fit face à un buisson fourni de baies rouges qui lui coupait la route. Cela lui rappela qu'elle avait faim. Elle lâcha ses deux valises, dont les poignées lui cisaillaient les mains et empêchaient la bonne circulation de son sang. Petit à petit, ses mains repassèrent du blanc à leur couleur originelle.
Elle se rua vers le buisson et s'empiffra de baies jusqu'à ce qu'elle se rende compte que le goût n'était pas si parfait que ça. Elle se redressa, quelque peu écœurée. Elle recracha ce qu'elle avait encore en bouche mais l'acidité lui imprégnait la gorge. Ce n'était heureusement pas toxique. Il fallait simplement s'y habituer.
Étonnement, elle songea que ses parents ne lui avait fourni aucune nourriture, malgré toutes leurs attentions pour l'aider dans cette nouvelle vie hostile. Elle se rappela alors les explications qu'ils étaient parvenus à glaner mais qu'elle n'avait entendu que d'une oreille. Les Ménas vivaient ensemble, dans un village au centre de Setchâ. Bien évidemment, les anciens accueillaient les nouveaux arrivants avec bienveillance. Là-bas, ils mangeaient ensemble. Ils s'entraidaient, ils cohabitaient.
Laëticia imagina une seconde quelle allure devait avoir ce village. Une seconde seulement. Ensuite, elle chassa cette idée de sa tête.
Le changement radical qui avait bousculé sa vie opérait sous plusieurs aspects. Elle changeait d'île. Elle se séparait de ses parents, de tout et de tous ceux qu'elle avait toujours connu. Elle se séparait des Sortilistes.
L'idée de ce village, de cette vie en communauté, ne l'attiraient pas plus que ça. Pour le moment, seule lui importait l'envie de découvrir l'île sur laquelle elle allait finir sa vie. Elle désirait connaître les paysages de Setchâ, et non ceux qui y vivaient.
Alors qu'elle marchait – encore –, un arbre assez particulier attira son attention. Certes, il ressemblait affreusement à ses congénères et ne possédait pas la moindre branche basse. En revanche, sa position semblait parfaite. Pas trop loin de la plage, mais pas trop près non plus. Relativement haut, l'arbre en question possédait de longues branches solides tendues vers le ciel que sa cime semblait frôler dans les yeux brillants de la petite fille. Il n'était pas très loin du buisson de baies et entouré de hauts rochers que l'on pouvait facilement escalader.
Position parfaite.
Dissimulant ses valises sous les buissons touffus, Laëticia commença son ascension. Pas trop haut ; ses membres paraissaient trop frêles pour aller plus loin. Mais tout de même assez haut pour surplomber une partie de la forêt.
Elle entendit alors des bruits, les paroles d'une chansonnette plus précisément. Malgré le fait que le chant la berçait, elle ne voulait pas avoir affaire à des Sortilistes. Du moins, pour le moment.
Alors, elle écouta attentivement les paroles, analysant la voix douce et envoûtante digne de celle d'une gentille grand-mère.
Dan-se, dan-se, jolie demoiselle,
Dan-se, dan-se, et montre-moi celle,
Celle que j'admire et que j'aime tant,
Celle qui m'entraîne vers des rêves envoûtants.
Chan-te, chan-te, jolie demoiselle,
Chan-te, chan-te, que j'écoute celle ;
Celle dont je rêve quand je ferme les yeux,
Celle qui me tend ses bras vers les cieux...
La voix s'éteignit et la jeune fille demeura interdite. Dans sa tête, la mélodie résonnait, l'emmenant vers des rêves envoûtants.
Lorsqu'elle sortit de sa douce torpeur, elle ne sut dire combien de temps s'était écoulé. Quelques minutes ? Plus ? Quelques heures ?
Durant la fin de l'après-midi, elle recueillit des fruits dans les arbres en guise de dîner. Peu de temps avant la tombée de la nuit, elle se posa au pied du grand arbre et dessina. Des croquis de son repas qu'elle avait vite englouti, du bateau et du buisson de baies. Puis, étant extrêmement fatiguée, elle s'endormit sans même avoir eut le temps de ranger ses affaires.
Le hurlement féroce d'un félin l'éveilla. La Lune éclairait la forêt de sa pâle lueur et dominait le ciel. Tout était sombre, les étoiles semblaient absentes. Un second feulement répondit au premier. Combien étaient-ils ?
Une peur bleue s'empara de l'enfant de dix ans. Elle était plus qu'apeurée, elle était réellement terrifiée et tremblait de tout son corps. Aussi furieusement que délicatement, elle empila ses affaires dans sa valise. Mais comme tout était empilé de façon désordonnée, la valise ne ferma pas et Laëticia commença à paniquer. Il fallait qu'elle se presse ; mais néanmoins, il ne fallait pas qu'elle fasse trop de bruit.
Tout ferma enfin. Elle voulut alors se mettre à l'abri en haut du grand arbre. Mais le fait de tenir une – lourde – valise dans chaque main rendait la chose impossible. Elle essaya pourtant. Longuement. Trop longuement.
Lorsqu'elle comprit enfin qu'elle n'y arriverait pas, que si elle tardait trop, les bêtes se rapprocheraient, elle changea de tactique. La panique montait en elle comme un thermomètre en plein été, rendant ses gestes brusques et irraisonnés. Comme prise de folie, ce fut en tremblant qu'elle redescendit des rochers sur lesquels elle se trouvaient et dissimula ses affaires entre deux d'entre eux.
Ainsi libérée, elle repartit dans l'autre sens. Le grand arbre. Escaladant comme une professionnelle, comme si elle avait fait toute sa vie, elle allait vite. Ses pieds semblaient rebondir sur les branches, la propulsant toujours plus haut. Ses mains glissaient sur l'écorce comme s'il s'agissait d'un mur lisse. Ses prises paraissaient trop légères pour tenir. Mais elle tenait. Telle un ange, on aurait dit qu'elle ne touchait pas l'arbre, mais qu'elle volait.
Lorsqu'elle se rendit compte qu'elle se trouvait – déjà – à quelques mètres du sol, elle s'arrêta. Effectivement, les branches commençaient à s'affiner autour d'elle et si elle se décidait à continuer, elle ne tarderait pas à atteindre la cime, le ciel. Ce dernier était sombre, un nuage cachait la Lune.
Le plus précautionneusement possible, elle se coucha sur une branche, croisant ses pieds et reliant ses mains entre elles. Semblable à un paresseux ou à un koala, elle guettait.
Et la nuit aussi la guettait. À croire que tout se guettait ici. Mutuellement. Chaque être vivant possédait tous ses sens aux aguets.
Mais le sommeil qui guettait Laëticia finit par l'emporter vers des songes étoilés.
Tout allait bien. Tout allait bien jusqu'à ce qu'un rugissement résonne excessivement proche de l'enfant. Elle s'éveilla d'un coup. Elle se retourna lentement afin de ne pas tomber. Son regard rencontra deux yeux jaunes à moins d'un mètre d'elle, la fixant. Ou plutôt, la guettant...
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Octo/ tome 2 • L'appel
FantasíaTome 2 ⚠ ATTENTION, risque de spoil ‼️ OCTO TOME II : L'APPEL Nos huit héros ne sont maintenant plus que sept. Face à eux, la Clé Ensorcelée, munie d'objectifs plus flous les uns que les autres, est prête à tout pour parvenir à leurs fins. Le somb...
