Solitude.
Il s'agissait d'un sentiment plutôt courant qui habitait de nombreuses personnes, généralement ressentie lors d'une situation particulière. Une situation de manque, peut-être. De doute, parfois. D'absences – que ce soit de personnes ou d'informations... Toujours.
Raym était un petit homme – cela valait sans dire – d'à peine un mètre. Ni plus, ni moins. Sa peau foncée était sans cesse recouverte d'un costume à cravate blanc aux ourlets noirs, de la même couleur que ses chaussures cirées à la perfection.
Un frange sombre de longs cheveux crépus recouvraient ses yeux clairs ainsi que ses oreilles. Constamment souriant, il possédait un sens important de la famille et il semblait, aux yeux de tous, très proche de son unique cousine, Jamila, qu'il considérait comme la sœur qu'il n'avait jamais eu. Âgé d'une trentaine d'années, il espérait bientôt recevoir un enfant de sa compagne, Alen.
Cette dernière s'étant exceptionnellement absentée, le brun se trouvait actuellement seul dans l'immense appartement. Il s'interrogeait sur les raisons du départ de sa femme alors qu'ils étaient censés partir en vacances tous les deux. Un doute plein de vices s'insinua dans son esprit.
Sa femme était-elle simplement partie, sans la moindre explication ? La connaissant, elle l'en aurait informé. Mais ce n'était pas le cas. Pas cette fois.
Il savait, en compagnon expérimenté, qu'elle partait régulièrement en déplacements sur les autres îles. Lesquelles ? Il ne savait plus. Parfois N'Brosios, parfois Setchâ. Parfois ailleurs. Mais depuis un certain temps, elle semblait... distante.
Bon, il fallait bien reconnaître qu'elle n'avait jamais été très tactile. Mais là, il commençait sérieusement à avoir quelques soupçons. Il se détestait de douter de sa confiance. De leur confiance. Mais il fallait avouer qu'elle n'était pas nette. Bien qu'il s'en voulait terriblement de penser cela.
Méfiant, il décida de fouiller, tel un miséreux, dans les affaires de sa femme. Il œuvra de façon méthodique. Cependant, il fut contraint de constater que le fruit de ses recherches se révéla inutile.
Quoique ! Une bosse suspecte sous le matelas attira son attention alors qu'il s'apprêtait à baisser les bras.
Il y retira une pile de lettres savamment dissimulées entre les ressorts et la mousse du lit. Le cœur battant la chamade, il les inspecta, l'œil grave.
Tout ceci le rendait malade. Et leur phrase, « On ne se cache jamais rien. » C'était quoi ? Un mensonge ?! La situation semblait insupportable. Ces lettres, c'était la preuve. La preuve qu'elle lui cachait quelque chose. Ses yeux le piquaient, ses mains tremblaient. Il s'assit, par précaution. Puis, il ferma les paupières, espérant échapper à la réalité. Mais en les rouvrant, la pile de lettres se trouvait toujours entre ses doigts.
Après tout, peut-être qu'il n'y avait rien. Avec un peu de chance...
STOP ! lui cria son esprit. Arrête de te faire des films ! Tu ne SAIS PAS ce qu'il y a à l'intérieur. Donc ouvre-les !
Raym obéit à sa propre conscience et, après avoir feuilleté quelques feuilles, il laissa échapper le paquet qui glissa sur le tapis moelleux. Une larme, plutôt inhabituelle venant de sa part, roula sur la joue du pauvre homme qui venait de découvrir avec effroi le pire des secrets.
Pas d'amant ; ça non. Dans un sens, il était rassuré.
Mais les lettres étaient des ordres de missions et les récits de ce qui était demandé. Cependant, si tout cela avait été dissimulé avec soin, ce n'était pas pour rien. Ces missions n'avaient rien à voir avec son travail. Non.
Sa femme, celle en qui il avait tant confiance, faisait partie de la Clé Ensorcelée. Il s'agissait d'un groupuscule aux desseins plus sombres les uns que les autres. Leur objectif final paraissait quelque peu imprécis pour le moment. De ce qu'il savait, les partisans souhaitaient éliminer les communs mortels ainsi que les Sortilistes se dressant devant eux. Ils étaient déjà parvenus à réaliser un audacieux kidnapping de la quasi-totalité des jeunes filles de Natilma, l'île principale de Psöryos. Cet enlèvement n'avait duré que deux jours et semblait avoir pour but de retrouver une jeune Ménas de quinze ans, une jeune fille ayant la particularité d'être née un vingt-neuf Février, date qui n'existait pas sur Psöryos. Il s'agissait d'une menace que nul ne parvenait à situer.
Mais si Alen adhérait à leurs projets, leur vie de couple allait très certainement basculer, et pas forcément pour le meilleur.
Comment avait-elle pu ? La colère s'imposa à Raym, repoussant la tristesse avec fureur.
Il se leva, plein de rage, et se campa devant le miroir. Qu'avait-il pu faire de mal pour mériter cela ? Il détailla chaque trait de son visage, chaque trait de son corps avec précision. Son nez n'avait rien d'imposant, contrairement à sa bouche et à sa boucle d'oreille en ivoire. Ses yeux habituellement bleus avaient rougis et de grosses larmes dévalaient ses joues rebondies.
Rien. Il fallait qu'il arrête. Il n'avait en rien influencé la trahison de se femme. De son ex-femme. Il ne pouvait plus rester avec elle. D'ailleurs, il ne voulait plus la voir. Il ne voulait plus vivre avec une telle traîtresse sous son toit. Il ne voulait plus avoir à la regarder en face. Même s'il le fallait. Il devrait lui dire. Il devrait la chasser. Il devra la dénoncer aussi. Mais ça, il ne le ferait pas. Peut-être pas. Il ne savait pas encore ce qu'il ferait. Il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs, il n'avait aucune idée de la façon dont il réagirait une fois face à elle.
*
Raym se trouvait seul dans le grand lit conjugal. Il lui paraissait monstrueusement immense pour un homme sans sa femme. Il n'arrivait pas à dormir. À croire que le sommeil ne pouvait pas l'engloutir comme il le faisait à chaque fois.
Dans sa tête, les pensées lui échappaient et se répétaient en boucle sans qu'il parvienne à s'en défaire. Le manège infernal semblait lancé à telle vitesse que plus rien ne pouvait l'arrêter. À part le sommeil ; peut-être. Les images, les sons ou encore les sentiments revenaient sans cesse, tourmentant le pauvre homme qui mélangeait chaque mot.
Sa femme avait pleuré, quelques cris de sa part avaient résonné, mais Alen n'avait même pas osé démentir les faits. Oui, elle faisait partie de la Clé Ensorcelée. Oui, elle avait participé à leurs travaux. Oui, elle resterait quoi qu'il arrive. Et oui, elle l'aimait réellement.
Ce fut d'ailleurs la seule raison de ses pleurs. Confuse, elle avait essayé de lui faire rejoindre le groupe. Par amour. Et par conviction. Sortis de sa bouche à elle, les arguments ne semblaient plus si mauvais. Après tout, peut-être qu'ils avaient un bon fond. Peut-être.
Cette sorte d'endoctrinement avait failli fonctionner.
Puis, Raym s'était souvenu que des adolescentes avaient été retirées de leur famille et fortement droguées. Son avis avait fait demi-tour en moins de deux ; il était hors de question qu'il cautionne de telles atrocités.
Alen devait se douter qu'il réagirait ainsi, puisqu'elle n'avait pas cru bon de lui en parler, ni même d'essayer de le convaincre auparavant.
Sans un mot, le petit homme avait clos la conversation et lui avait désigné la porte. Elle avait tenté de l'embrasser une dernière fois avant de se quitter, mais il l'avait repoussé. Il était trop tard.
Elle l'avait perdu, et bien que cela leur fende le cœur aussi bien à l'un qu'à l'autre, rattraper ce qui s'était brisé entre eux serait très, très dur.
Lorsque le sommeil l'enveloppa enfin de ses bras emplis de rêves et de cauchemars, il s'endormit profondément. Le lendemain, il ne se réveilla que très tard.
Toujours amoureux d'Alen, il lui laissa vingt-quatre heures avant de se rendre au bureau des dirigeants pour la dénoncer. Ensuite, il se renferma sur lui-même, se retirant du monde.
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Octo/ tome 2 • L'appel
FantasyTome 2 ⚠ ATTENTION, risque de spoil ‼️ OCTO TOME II : L'APPEL Nos huit héros ne sont maintenant plus que sept. Face à eux, la Clé Ensorcelée, munie d'objectifs plus flous les uns que les autres, est prête à tout pour parvenir à leurs fins. Le somb...
