𝑆𝑊𝐸𝐸𝑇 𝐻𝐸𝐴𝑅𝑇 - chanlix

01

Les aiguilles de l'horloge avoisinaient les trois heures du matin lorsque le néon extérieur du bar « ɪɴ ʟɪғᴇ » commença à dysfonctionner, plongeant alors dans une obscurité partielle la porte métallique qui donnait accès au lieu. Les rues étaient désertes depuis déjà plusieurs heures ce qui contrastait avec l'intérieur du bâtiment. En effet, que ce soit sur la piste de danse, au bar ou à l'étage, la foule était si dense qu'on ne distinguait qu'un amas de corps qui se déhanchait au rythme de la musique, qui, d'ailleurs, était beaucoup trop forte pour que l'on puisse s'entendre. Seulement, dans cette horde de personnes difficilement éclairée par les lumières teintées au plafond, une chevelure rose pastel se distingua. Elle se dirigeait vers le bar avec détermination, mais ne put s'y rendre qu'après cinq longues minutes puisque les corps transpirants la repoussaient au point qu'elle revenait toujours à son point de départ.

Félix s'écroula finalement sur un tabouret, essoufflé de cette aventure et ne se priva pas pour commander un nouveau cocktail comportant un taux d'alcool beaucoup trop élevé, surtout si on accumulait ce qu'il avait déjà bu. Pendant que le barman effectuait sa demande, il admira les murs décorés de posters et de photos. Mais rapidement, il se rendit compte que sa vue était trop floue pour qu'il puisse distinguer quoique ce soit. Et comme si son cerveau lui envoya un signal à ce constat, il massa ses tempes pour tenter de faire disparaître son soudain mal de tête. Lorsque sa boisson fut prête et déposée devant lui, il attrapa d'abord son téléphone portable et le déverrouilla grâce à l'empreinte digitale. Heureusement qu'il y avait cette fonctionnalité puisqu'il ne pouvait se rappeler de son code à 4 chiffres. Avec beaucoup de mal, il réussit finalement à retrouver l'endroit où se situaient ses contacts et appuya sur le premier doté d'une étoile. Il le colla immédiatement à son oreille et balança ses jambes en jouant avec la paille de son cocktail.

« Félix j'vais te...

- Hyung ! Ça va ? Parce que moi pas trop. T'es où ? Le plus jeune prit une gorgée de sa boisson, grimaçant au goût amer de l'alcool.

- Comment ça je suis où ? Toi t'es où ? Une voix gronda. J'entends de la musique, t'es dans un bar ? Qu'est-ce que tu fous là ? J'te préviens j'suis en train de bosser j'peux pas v...

- Hyung... »

Félix arrêta de parler, sa voix s'était brisée. En effet, ses yeux étaient devenus humides et il renifla.

« J'suis encore tout seul, il murmura. Tu peux venir me chercher s'il te plaît ? Je me sens pas bien. »

Les larmes envahirent ses joues et les sanglots secouèrent violemment son corps.

« Envoie moi le nom du bar. »

Félix hocha la tête pour acquiescer, bien trop ivre pour se rendre compte que ce geste était ridicule. Il raccrocha et jeta un coup d'œil au néon qui surplombait le bar, copiant lettre par lettre le nom de celui-ci. Minho devait déjà être sur la conversation puisque à peine le message envoyé, il avait été lu ce qui fit sourire Félix à travers ses larmes.

Sa rencontre avec le brun datait du collège. Malgré leur deux ans de différence, ils s'étaient rapidement liés d'amitié et le départ du plus vieux au lycée n'a fait que renforcer leur relation : Félix allait chaque soir chez Minho pour jouer aux jeux vidéos et passer la nuit à se raconter les nouveautés du jour ou à parler de tout et de rien. Le brun était toujours là pour lui, et ce soir en était une nouvelle fois la preuve. Pourquoi je tombe pas amoureux de Minho hyung... pensa tristement Félix en s'abreuvant de sa boisson. Peut-être que j'aurais économisé des larmes.

À cette pensée, Félix ricana moqueusement de lui-même sous le regard inquiet du barman. Le rosé avait la capacité affolante de passer du rire aux larmes et inversement, mais à l'intérieur de lui toutes les émotions s'entrechoquaient à tel point qu'il souhait les vomir. Ou peut-être était-ce l'alcool.. Son verre était vide. Cependant, il continua à mordiller la paille, noyé dans ses pensées les plus sombres. Son esprit s'étant totalement déconnecté, il sursauta lorsqu'une main se posa sur son épaule droite.

« Félix ? »

Le susnommé libéra le plastique de ses dents et se retourna vivement.

« Minho ! »

Son enthousiasme disparut aussitôt. Le garçon en face de lui était loin d'être son meilleur ami. Malgré sa vue floue, il distingua une touffe de cheveux blonds qui encadrait un visage si masculin que Félix se mit secrètement à le jalouser. Une mâchoire parfaitement dessinée, un nez dominant et un regard qui impose le respect, ce garçon semblait sortir tout droit d'un drama où il y serait, sans grand étonnement, le protagoniste. Le rosé déglutit tandis que l'autre rigola légèrement.

« Moi c'est Chan, joli cœur. »

Surpris, Félix papillonna des yeux. L'alcool lui jouait-il des tours ? Il regarda autour de lui, confus.

« Il est où Minho hyung ? Félix fronça les sourcils.

-Il est encore en train de travailler sur son projet, donc je me suis proposé pour venir te chercher. »

Pour être honnête, le rosé ne comprenait pas un seul mot de ce que l'autre racontait : il était trop occupé à chercher le nom de la chanson qui passait. Elle lui disait quelque chose, mais il n'avait aucune idée de où il l'avait entendu.

« Eh ? Tu m'écoutes ? »

Félix écarquilla les yeux, évidemment qu'il la connaissait, cette chanson ! C'était celle du karaoké avec Hyunjin. Il avait chanté – ou plutôt crié – si fort qu'il avait perdu sa voix pendant deux jours, s'attirant les moqueries de son ami qui avait échappé à ce mauvais sort.

« C'est ma chanson ! »

Il bouscula ledit Chan pour aller en direction de la piste de danse sans remarquer que celui-ci le fusillait du regard et s'était mit à le suivre. Il crut l'entendre l'appeler mais il se faufila de part sa petite taille entre les personnes et se mit à se déhancher au rythme de la musique. Il avait perdu de vu ce blond qui avait débarqué de nulle part et à vrai dire il l'avait déjà complètement oublié, l'alcool coulait à flot dans son organisme.

La transition entre les deux musiques fit battre son cœur à peu plus vite et il s'arrêta de danser quand la première mélodie fût jouée : c'était la chanson que Louis lui avait fait découvrir. Son visage se crispa : alors même ici il lui rappelait qu'il était pitoyable à quémander de l'attention dans un bar ? Complètement déconnecté de la réalité, Félix ne réagit pas quand une main attrapa son poignet et le tira à travers la foule. Ses yeux tombèrent sur une main veineuse, et malgré la forte emprise de celle-ci, il la trouva étrangement rassurante. Comme si elle le retenait de tomber encore plus bas qu'il ne l'était déjà.

Le vent frappa ses joues et c'est uniquement à ce moment qu'il se rendit compte qu'il était dehors. La rue n'était pas éclairée, et sa vue toujours aussi floue.

« Putain mais pourquoi j'ai pris l'initiative de récupérer un gamin pareil.., il entendit un marmonnement. »

Félix se figea : Louis l'appelait souvent comme ça. Il l'infantilisait pour lui faire comprendre que son besoin d'affection était ridicule, qu'il était majeur et qu'il devait se réveiller de son monde imaginaire où paix et amour régnaient. Il renifla, attirant l'attention de la personne à ses côtés qui s'abaissa à son niveau – Félix s'étant accroupi dû à son mal de tête.

« Pourquoi tu chiales ?

- P-Pardon. »

Le rosé éclata en sanglots en se recroquevillant. L'alcool multipliait ses émotions négatives et il n'arrivait plus à supporter ce mélange toxique. Une main caressa subitement ses cheveux et il se surprit à se calmer progressivement. Il releva la tête de ses bras, les joues inondées de larmes et les yeux rougis par celles-ci. Il sentit une caresse sur sa pommette gauche tandis que son regard tomba directement sur les lèvres du blond. Cet homme dont il avait oublié le prénom le déstabilisait. Face à lui, il se sentait intimidé et apaisé en même temps. C'est sûrement pour cela qu'il osa verrouiller son regard dans le sien, et qu'il murmura d'une manière calme et confiante :

« Est-ce que tu peux m'embrasser ? »