Chapitre 18

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Je me gare près du pont dans un état second. Et c'est comme une automate que je dévale la rue qui mène à l'endroit où se trouve Lucy.

Le vent souffle, la tempête menace. La même mèche de cheveux ne cesse de se plaquer contre mon visage, brouille ma vue, et fait éclore la rage qui prend racine dans ma poitrine. J'aimerais en vouloir au monde entier, mais cette rage est tournée contre moi même, autant que contre ma pseudo-amie. Une seule chose est certaine. Je ne peux occulter les moments passés en sa compagnie. Je ne peux tout simplement pas jeter notre amitié aux ordures.

J'en suis incapable.

Et lorsque son ombre se dessine, tanguant entre le rebord du pont et le vide, entre la vie et la mort, comme si seul ce destin, auquel j'aurais tant voulu cesser de croire, avait encore le pouvoir. Je sais que j'ai pris la bonne décision. Mon cœur tambourine. Très fort. Et je m'approche doucement, ignorant autant Gray que Jellal. Je n'ai d'yeux que pour la silhouette si frêle de Lucy, brisée aux yeux de tous.

Par ma faute.

Je ressens sa peine, elle m'envahit, m'aspire dans un gouffre sans fin. Le mouvement de tête imperceptible que je décèle m'indique qu'elle a pris conscience de ma présence. En silence, je m'approche d'elle tandis que les deux hommes prennent leurs distances.

-Ça n'en vaut pas la peine Lucy, dis-je dans un filet de voix. Aucun homme ne vaut cette peine.

Ma voix reprend de l'assurance. Je le pense. J'ai tout foiré, et Gray m'a prouvé que j'ai eu tort de croire en lui. Il n'est pas digne de confiance.

Lucy se retourne brusquement pour me lancer un regard noir, mais elle manque de glisser de la barrière et mon cœur s'arrête tout bonnement. Je me précipite vers elle, alors qu'elle reprend son équilibre et me hurle.

-Reste ou tu es!

Ces mots pourtant banals sont crachés comme du venin. Et si je ressens sa peine, désormais, j'entrevois également la haine que je lui inspire.

Mes larmes se mettent alors à couler. Je ne sais plus quelle attitude adopter, je ne sais quoi lui dire ni comment faire pour qu'elle descende de là. Sa raison s'est envolée, je le vois dans ses yeux sombres et voilés.

-Oh Non! Non, non, non! Je t'interdis de pleurer! Tu n'as pas le droit! Continue t'elle alors que sa voix se brise, autant que mon cœur déjà malmené cette nuit. Toi, tu as toujours eu ce que tu voulais! Même Gray!

-Je n'ai pas Gray, Lucy, et tu le sais. Je ne l'ai jamais eu..

J'ai du mal à parler, mais l'approche discrète de Jellal, sans que Lucy ne s'en aperçoive, m'incite à poursuivre la discussion pour la distraire.

-Je pensais que te voir le cœur brisé pourrait m'aider, je pensais.. que.. ça me ferait tout oublier, tourner la page, mais.. mais.. non.. je.. je..

Abasourdie, je ne peux qu'assister à l'effondrement de Lucy, ses sanglots me prennent à la gorge et déclenchent les miens. Je me sens tellement impuissante que j'en tremble de façon irrépressible.

-Tout est de ta faute Juvia! Reste ou tu es Jellal ou je saute! Reprend elle en se décalant sur la gauche pour lui faire face.

Elle ressemble à une furie, alternant sanglots et hurlements. Son mascara laisse dans ombres inquiétantes le long de ses joues, et son regard vide me donne l'impression qu'elle est la, sans être réellement la. Ce que je sais, c'est qu'il faut gagner du temps, la faire parler, la calmer, je n'en sais rien, tout sauf la laisser s'enfoncer dans son délire.

Délire auquel je ne comprend absolument rien!

-Oui Lucy. Je sais que c'est ma faute. Je n'aurais jamais dû séduire Gray, je sais que c'est impardonnable, mais ça ne vaut pas la peine de sauter, je te jures Lucy. Tu me détestes, j'en ai conscience, mais..

-Oh mais ferme là un peu, tu veux! Tu comprends rien à rien toi, décidément! Juvia est le centre du monde. Juvia a toute l'attention dirigée vers elle. Juvia n'a pas eu une vie facile. Juvia a peur du noir. Juvia a besoin de soutient. Juvia, Juvia.. Toujours Juvia! Pauvre, pauvre Juvia!

Ses mots sont comme des lames enfoncées dans mon cœur, pourtant, le ton de Lucy est étrangement calme, dénué de sentiments, et ça me glace d'effroi.

Mais qui est la femme qui se tient devant moi?

Pas celle qui riait aux éclats quand on dévalait toutes les boutiques de Crocus. Pas celle avec qui je faisait la folle lors de nombreuses fêtes étudiantes. Pas celle qui m'épaulait, me consolait, me soutenait toujours. Non, cette femme la a disparue, envolée en même temps que notre amitié.

Sans même me laisser le temps de répliquer, Lucy enchaîne, le corps à nouveau penché vers moi.

-Mais qui se préoccupait réellement de moi? Qui s'est intéressé à la véritable Lucy? Qui a réussi à voir derrière mes sourires et ma bonne humeur? Qui voit mes chaînes et mes peurs a moi, hein qui? Personne! Et certainement pas toi! Et pourtant, c'est toi qui as brisé ma vie. Tu es la cause de tout ça, ajoute t' elle avec un vaste mouvement autour d'elle.

Hypnotisée par ses paroles, je reste pantelante alors qu'elle m'assène le coup final, celui dont je ne me relèverai probablement jamais

-Si tu l'avais fait mettre en prison Juvia, il ne m'aurait jamais violé! Et je.. n'aurais jamais.. passer mon.. adolescence.. dans un hôpital.. psychiatrique.

Sa poitrine se soulève sous l'effet des sanglots qu'elle peine à contenir entre deux mots.

Après un moment de flottement, la dure vérité me percute.

-José.. c'est.. c'est toi qui l'a envoyé en prison..

Je murmure, mais je sais qu'elle m'a entendu lorsque je croise ses pupilles dévastées. Je ne peux même pas soutenir son regard. Mes jambes ne sont plus que du coton quand je prends conscience de la dure realité. José est passé à l'acte environ deux ans après ce fameux week-end où il a essayé de me violer. Celui où j'ai été suffisamment lache pour ne pas porter plainte.

La crise d'angoisse me submerge alors comme un tsunami. Tout autour de moi se met à tourner. Je sens le sang refluer de mon visage, ma respiration devient chaotique, inexistante tandis que Lucy se tourne vers le néant et s'apprête a se jeter dans le vide.

-NOOOOOON!

Je crie avec le peu de souffle qu'il me reste, et le soulagement m'étreint lorsque je vois Jellal saisir Lucy par la taille pour la tirer en arrière . Elle se débat, n'est plus maîtresse d'elle même, avant de se tourner une dernière fois vers moi.

-Je voulais te détruire pour pouvoir me reconstruire, murmure t'elle les yeux vides sans même me regarder. Mais ça fait toujours aussi mal. Je sens encore ses mains sur mon corps bloqué par tout son poids. Le goût aseptisé du bâillon. Son haleine mentholée. Subir encore et encore sans rien pouvoir dire ou faire. Et ce temps impitoyable qui refuse de s'écouler..

Je peux déceler dans ses traits tous les fantômes qui la guettent. A vrai dire, la nausée m'envahit, parce que je sais qu'elle n'est pas vraiment la, elle est là bas, avec cette ordure. Je frissonne. Les mauvais souvenirs refont surface. Je revois sa main frôler mes fesses, se glisser sous mes vêtements, l'haleine mentholée dont parle Lucy. Et le noir m'envahit. Cette obscurité que je déteste tant, et qui m'accompagne comme une vieille amie. Cette fois je l'accueille avec bénédiction. Je sens à peine les bras puissant de Gray me rattraper avant que je ne frappe durement le sol.

-Je suis tellement, tellement désolé, Juvia, chuchote t'il en me berçant contre lui.

Pourtant ici, point de rédemption.

Ni pour lui, ni pour moi..

L'OBSESSIONWhere stories live. Discover now