Criminel

LXXXII

Nous sommes ici depuis quatre jours, ils ne nous laissent même pas entrer... Ils sont tous partis se reposer un peu entre temps, mais moi, je n'ai pas bougé d'ici. Ils disent qu'ils n'ont pas d'espoir, moi j'en ai, je ne cesserai pas d'en avoir, tant que son cœur bat, je pourrais rester ici toute ma vie à attendre son réveil. S'il le faut, je quitterai ce monde avec lui, mais je ne veux pas vivre dans un monde où il n'y a plus celui que j'aime, je préfère même m'ôter la vie moi-même, mais je ne resterai pas sans lui, plus jamais.

D'après ce qu'on a entendu par Erol et Idris Demirol, Damien Frayes est fou de rage, il a vu ses conteneurs et ses navires exploser, Mucho a fait exploser ses camions aussi. Si je suis plus calme ? Non, pas du tout. En plus, il a appris que c'est moi qui ai donné l'ordre, quelqu'un a entendu Idris Demirol me parler au téléphone, ils ont prévenu Damien Frayes, mais c'était trop tard. On dit que Damien Frayes n'a qu'une hâte, c'est de me tuer, ce qu'il ne sait probablement pas c'est que moi aussi j'ai hâte de le tuer. Parce que j'ai encore mal au coeur, je déteste savoir Enes entre la vie et la mort, et celui qui fait ça à l'homme que j'aime, je ne mourrais pas avant lui, mais après lui.

Un médecin est entré pour aller voir comment il va, pour l'instant je suis seule devant la salle de réanimation, j'ai la tête posée contre le mur, le teint pâle, les yeux rouges et une énorme douleur au ventre que je cache à tout le monde pour l'instant. Mon pauvre bébé a subi toutes les merdes du monde, il n'a pas eu un seul jour de bonheur depuis qu'il est dans le ventre de sa mère, je n'ai même pas envie qu'il vienne dans ce monde pour vivre cette misère que nous vivons déjà. Mais je ne peux pas le faire disparaître, pas alors qu'il est encore là après tout ce que j'ai subi. Et surtout, je veux qu'on puisse être une belle petite famille avec Enes, notre enfant et moi.

Le médecin ressort, j'ai de l'espoir chaque fois qu'il ressort calmement, je me dis qu'il ne se réveille peut-être pas, mais au moins, il est en vie. Il a besoin de repos après tout... On a vécu dans la misère tout ce temps, on a subi des choses que personne ne pourrait subir, il doit se reposer. Je me lève et je vais voir le médecin pour avoir plus d'informations, je n'en peux plus de ce silence pesant.

« - Excusez-moi, je suis Madame Meral. Il hoche la tête, sachant déjà qui je suis. Mon époux est là depuis quatre jours déjà, on nous dit tout le temps la même chose. Comment il va ?

- Son état est stable, mais rien ne nous indique qu'il pourrait se réveiller.

- Je dois le voir. Je ne peux plus rester ici à attendre.

- Madame Meral...

- Si vous m'en empêchez, je rentrerai quand même, et c'est vous qui serez embêté. »

Il hoche la tête, il finit par m'ouvrir les portes, on rentre à l'intérieur pour avancer jusqu'à la salle où se trouve Enes. Je déteste menacer de pauvres personnes, mais je n'en peux vraiment plus, je suis épuisée, j'ai besoin de le voir. C'est lui ma force... C'est lui qui fait battre mon cœur, mais mon cœur ne tient plus, et je m'affaiblis, plus il reste ici, et plus je suis faible, je ne peux plus rester là sans le voir. C'est un cauchemar sans fin de rester sans le voir...

Ils m'ont donné une blouse et un masque à enfiler, on passe par les portes glissantes, en le voyant branché à toutes ces machines, les larmes me montent aux yeux, il vit grâce à ça, alors que Mero n'a besoin de rien pour vivre... Je pars près de lui et j'attrape sa main. Le médecin me ramène une chaise, mais je n'y fais même pas attention, il sort sans rien dire. Il a l'air d'être si faible, si fatigué... Une larme coule sur ma joue, elle atterrit sur son visage, je l'essuie doucement, comme si à mon touchée, il pouvait se briser en morceaux. Il a l'air d'être si fragile... S'il était réveillé, il m'aurait sûrement touché la joue pour la caresser délicatement et me rassurer... Je veux entendre sa voix, je veux revoir son regard plein d'espoir... Je veux retrouver Enes...