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Chaque dimanche était destiné à l'écriture d'une longue lettre pour Miss Bates et sa mère. Jane n'avait jamais oublié de leur écrire, même la fois où elle avait attrapé un mauvais refroidissement qui l'avait contrainte à garder la chambre pendant une dizaine de jours. Elle savait que ses lettres étaient le comble du plaisir pour les deux braves femmes qui l'avaient élevée. Elle se doutait que sa tante, une femme très bavarde, lisait et relisait ses lettres à tous leurs amis de Highbury. Si Miss Bates était considérée par tous comme étant la plus grande pipelette de toute l'Angleterre, elle était aussi peu avare dans les lettres qu'elle envoyait à Jane. Elle lui racontait en détail les réactions que suscitaient ses lettres, les bons vœux qu'on adressait à Jane par son entremise, les visites, les sorties, les nouvelles de Highbury, mais aussi les bontés qu'avaient ces gens pour les dames Bates. Il n'y avait pas meilleure personne pour rapporter les moindres faits ayant eu lieu à Highbury.

Il arrivait parfois à Jane de ressentir un certain vague à l'âme quand elle déchiffrait les missives de sa tante. Elle n'était pas revenue à Highbury depuis plus d'un an. Son dernier séjour dans le Surrey avait duré deux semaines. Il lui arrivait quelques fois de ressentir une certaine culpabilité. Elle vivait dans une certaine opulence, alors que sa tante et sa grand-mère économisaient les bouts de chandelle et dépendaient des gentillesses des gens de Highbury. A la fin de chacune des lettres que Jane lisait, Miss Bates renouvelait sa joie de savoir Jane auprès des Campbell, des personnes si bonnes et si aimantes pour sa nièce adorée. Alors Jane s'efforçait de faire honneur aux bontés qu'elle avait reçues depuis son installation à Londres. Elle décrivait avec minutie son quotidien à Londres, dans l'espoir que Miss Bates et Mrs Bates puissent se le figurer comme si elles étaient à ses côtés.

Ce dimanche, Jane s'attela avec plaisir et sérieux à l'écriture de sa lettre hebdomadaire. Elle rédigeait sur le papier tous les événements qui avaient eu lieu dans son quotidien durant la semaine, mais aussi ceux qui auraient lieu la semaine suivante. L'un d'eux - elle le savait - provoquerait une grande joie à sa tante. Les Campbell et elle étaient invités à un dîner à Brunswick Square, chez des amis de longue date du colonel et de son épouse. Il y aurait cette fois-ci quelques jeunes gens et Jane et Catherine pourraient démontrer leurs talents en jouant du pianoforte et en chantant pour divertir leurs hôtes dans le salon.

Ces amis intimes des Campbell étaient Mr et Mrs Webb, un riche couple sans enfant, qui aimaient recevoir. Mr Webb était un financier et son épouse était la sœur d'un gentleman établi en Irlande depuis plusieurs années. Mr Webb et le colonel Campbell se connaissaient depuis leur enfance. Ils étaient allés dans le même collège à Londres. Mr Webb avait - tout comme son ami - embrassé la carrière militaire, mais avait fini par l'abandonner au bout de quatre années de service et s'était reconverti dans la finance avec succès. Ses affaires lui avaient procuré une respectable fortune, et au bout de quatre autres années d'exercice dans ce domaine, il put songer à se marier.

Lors d'un séjour à Bath, Mr Webb rencontra sa future épouse, une Miss Stephens, venue dans la cité des thermes pour la santé de sa mère, une vieille femme aigrie et maladive, peu disposée à se séparer de son unique fille âgée de vingt-cinq ans depuis le départ de son fils en Irlande. Cinq mois plus tard, le mariage entre Mr Webb et Miss Stephens était célébré et le couple s'établissait à Londres dans une demeure cossue de Brunswick Square.

Seule ombre au tableau à ce mariage heureux, l'absence d'une progéniture. Ils purent se consoler grâce aux séjours de certains de leurs neveux et nièces. Mr Stephens, le frère de Mrs Webb, avait eu trois enfants, deux filles et un fils, qu'il avait fréquemment envoyés à Londres pour de longs séjours. Sa première fille, Miss Stephens, avait convolé en justes noces l'automne dernier et vivait avec son époux à Mayfair. Depuis le début du mois de mars, la nouvelle Miss Stephens séjournait chez sa sœur et rendait visite à son oncle et à sa tante à Brunswick Square.

JaneWhere stories live. Discover now