XI

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La demeure du général Pearce se situait non loin de Grosvenor Square, une adresse confidentielle que seuls quelques chanceux de l'élite pouvaient faire figurer sur leurs cartes de visite, à l'instar des Osborne. Les Pearce avaient reçu en héritage cette magnifique maison à la mort du cousin du général qui lui avait laissé ce bien de la capitale, un domaine dans le Kent et une belle fortune. Ces importantes possessions n'avaient fait qu'accroitre le prestige du général. Lui, qui n'avait été qu'un général parmi tant d'autres durant des années, était devenu un homme auquel on souhaitait ardemment être présenté.

Cet heureux éclat avait bien évidemment rejailli sur sa famille et plus particulièrement sur sa progéniture. Son fils aîné hériterait un jour de tout : il s'était donc bien marié avec la fille d'un baron. Son second fils - qui était aussi militaire - avait épousé une riche héritière, mais qui était moins noble que sa belle-sœur.

Quant à ses filles, elles avaient eu le privilège de pouvoir se montrer exigeantes. La première avait convolé en justes noces avec un baronnet du Sussex : c'était une lady à présent. La seconde avait fait mieux que son aînée et avait mis la main sur un baron : c'était donc une lady un peu plus importante. La troisième n'avait pas trouvé de noble époux, mais elle était la maîtresse d'un domaine du Norfolk rapportant douze mille livres de rente annuelle : ainsi elle avait surpassé ses deux aînées grâce à la fortune. Quant à la dernière - qui était une grande amie de Miss Molinary - elle avait fait un choix du cœur fort judicieux en se mariant à un gentleman du Hampshire qui était à la fois riche et noble grâce au sang de sa mère, fille cadette d'un comte. Leur domaine était fort plaisant et leur assurait une vie des plus confortables. Ce mariage avait été célébré l'an dernier.

Le général Pearce avait ainsi rempli tous ses devoirs en tant que père. Ses enfants étaient tous mariés et ne risquaient plus d'attirer les coureurs de dot ou encore les filles sans le sou.

*

Un cortège de voitures s'était formé devant la demeure des Pearce. Une à une, elles s'en allaient après avoir été vidées de leurs occupants. Une bonne partie des convives résidait dans le même quartier, voire à quelques mètres de l'adresse des Pearce, mais il eût été inconvenant pour ces gens de ne pas exhiber leur attelage. C'était le cas des Osborne qui auraient très bien pu accorder une soirée de répit à leur cocher, mais Mr Osborne était un homme indolent, mou, qui repoussait la moindre occasion de faire un peu d'exercice. Mais la paresse de Mr Osborne n'était pas l'unique raison de leur venue en voiture : Miss Stephens était bien trop fière et trop vaniteuse pour refuser un court déplacement en voiture aussi bien à Londres qu'à la campagne. Ainsi, la coutume voulait dans ce milieu qu'on se déplaçât en attelage en toute occasion, que la distance à parcourir soit longue ou courte.

Les Campbell n'avaient pas dérogé à cette règle, mais ils vivaient à St James's Street : ce qui n'était pas à quelques pas de Park Street, où résidaient les Pearce. Durant tout le trajet, Catherine n'avait cessé de poser des questions. Les six enfants du général seraient-ils présents ? Verrait-on Miss Molinary et son fiancé ? Mr Osborne serait-il accompagné de sa noble parenté ? Pouvait-on espérer d'être présentés à des invités de marque ?

- Ma chère fille, rit le colonel, vous verrez bien tout ça au moment venu. Regardez, nous approchons !

La voiture longeait Grovenor Square où bon nombre d'attelages circulaient au même moment.

- Jane, reprit Miss Campbell, n'auriez-vous pas envie de vivre ici ? Que cela doit être merveilleux de posséder une maison ici et de pouvoir en jouir ! Mrs Osborne a beaucoup de chance !

- Je vous l'accorde, mais si j'étais elle je serais bien malheureuse de ne pas pouvoir voir ma famille.

Miss Campbell répondit que ce serait en effet pour elle-même un grand chagrin de ne pas avoir auprès d'elle ses parents et sa chère Jane, mais elle parvint à trouver des compensations pouvant atténuer l'hypothétique tristesse de Mrs Osborne :

JaneWhere stories live. Discover now