III

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Mrs Campbell était une projection de ce à quoi pourrait ressembler d'ici quelques années sa fille. On disait souvent que Catherine était la copie conforme de sa mère au même âge, mais il y avait des différences notables. Mrs Campbell, par exemple, avait toujours été un peu plus enrobée que sa fille, et ses yeux étaient un peu plus petits et un peu plus foncés que ceux de Catherine qui les avait hérités de son père. Quant au nez, elles avaient le même : il était petit, retroussé et légèrement épaté. Les joues roses de Miss Campbell étaient un peu plus remplies chez sa mère, tandis que la bouche était aussi charnue chez l'une et l'autre. Au fil des ans, Mrs Campbell avait pris de l'embonpoint et sa silhouette n'était plus aussi mince que lors du jour de son mariage.

Quant à l'esprit, Mrs Campbell en était pourvue, sans quoi son époux ne l'aurait jamais épousée. Sa société était agréable, elle savait se montrer distrayante. Elle aimait parler des accomplissements des deux demoiselles Campbell et Fairfax. Elle avait veillé à ce que les deux jeunes filles, élevées comme des sœurs, acquièrent de nombreux talents et, dans tout St James's Street*1, on ne connaissait pas de mères aussi fières que pouvait l'être Mrs Campbell.

Elle aurait voulu garder auprès d'elles les deux jeunes filles jusqu'à la fin de ses jours, mais c'était un souhait bien déraisonnable. L'épouse du colonel pensait parfois que Jane n'était peut-être pas obligée de devenir une triste gouvernante, et qu'elle et son mari pourraient continuer à pourvoir à ses besoins jusqu'à leur mort. Il lui arrivait d'en discuter avec son époux. Peut-être pourraient-ils mettre un peu d'argent de côté pour Jane ? Peut-être pourraient-ils faire fructifier l'argent que lui avait laissé son pauvre père ? Peut-être pourraient-ils donner une petite partie de la fortune réservée à Catherine pour Jane ?

Miss Campbell aurait volontiers partagé avec Miss Fairfax, mais le colonel avait réfléchi à toutes les possibilités, et Jane n'aurait pas d'autre choix que de devenir une éducatrice. Sa fortune n'était pas assez conséquente pour deux jeunes filles, et il espérait que Catherine ferait un mariage qui la mettrait à l'abri du besoin. Il savait qu'avec moins de dix mille livres, sa fille n'attirerait aucun parti intéressant.

Quant aux quelques centaines de livres qu'avait laissées le lieutenant Fairfax, il ne pouvait se risquer à les placer dans un investissement plus malheureux que lucratif. Jane était déjà pauvre, il ne souhaitait pas la voir devenir indigente par sa faute. Et quant aux sommes qu'on aurait pu mettre de côté, il avait déjà été trop tard quand le colonel avait formé le projet de prendre à sa charge l'éducation de Jane. Les Campbell vivaient sur la solde du colonel, les intérêts de la petite dot de Mrs Campbell et quelques menues rentes découlant d'investissements conseillés par Mr Webb. Le tout leur procurait un revenu confortable, mais qui était entièrement injecté dans leurs dépenses quotidiennes : la nourriture, les gages des domestiques, l'entretien de la voiture et des chevaux, les tenues de ces trois dames, les sorties, les voyages... Ils vivaient selon leur rang et n'étaient ni adeptes des petites économies, ni adeptes des dépenses inutiles. Seul un gentleman dépourvu de bon sens pourrait vouloir de Jane pour épouse.

Mrs Campbell était une femme sensée qui veillait quotidiennement à la bonne tenue de sa maison. Chaque début de semaine, elle élaborait les menus en prenant en compte les préférences de chacun tout en ne répandant pas sa bourse. Elle écrivait régulièrement des lettres à leur famille proche et éloignée, aux amis de la famille et à ses quelques connaissances. De temps en temps, elle rendait des visites à ses amies résidant non loin de chez elle, à l'instar de Mrs Webb, ou bien les recevaient. Quand elle avait fini ses tâches, elle prenait plaisir à confectionner quelques bonnets, châles, bas ou encore à broder des mouchoirs qu'elle offrait à sa fille ou à Jane.

Quant au colonel, ses activités étaient tout aussi variées. Chaque matin, il allait se promener dans leur quartier, puis il revenait chez lui pour prendre son déjeuner avec son épouse et les deux demoiselles. Il quittait ensuite la table et s'enfermait dans son bureau pour s'occuper de ses affaires et tenir à jour ses correspondances. La fin de la matinée était parfois consacrée à quelques visites qu'il ne pouvait reporter. Et quand il avait terminé, il revenait chez lui et il se réunissait avec Mrs Campbell, Catherine et Jane dans le salon pour prendre une collation et discuter de choses et d'autres.

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