III

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Jane n'avait pas attendu avec impatience le souper chez les Osborne, bien qu'il s'agît d'un privilège pour elle et les Campbell. Mr Osborne était un riche gentleman, neveu d'un vicomte par le sang de sa mère et possédait, en plus des relations, de beaux biens et beaucoup d'argent. Il eût été un homme parfait, s'il eût possédé également la beauté, l'intelligence et la santé. Mais Mr Osborne ressemblait davantage à un petit paysan tuberculeux, qu'à un homme bien né respirant la santé et le bon jugement. S'il eût possédé ces qualités essentielles, jamais il n'eût consenti à épouser la femme qui partageait sa vie. Le Tout Puissant n'avait point insufflé une mauvaise nature à Mrs Osborne, mais il semblait qu'il avait oublié de lui donner deux des qualités essentielles qui eussent fait de son époux un homme parfait : la beauté et surtout l'intelligence. Heureusement pour eux, Miss Stephens veillait sur leurs intérêts, comme une poule couvant ses œufs.

Mrs Osborne ne partageait pas un gramme de ressemblance avec son frère et sa sœur. Elle n'avait - de loin - pas un physique facile*1. Mrs Osborne était une femme aussi grande qu'une jument - bien que ce ne fût pas véritablement un défaut. Son visage était laid, il fallait bien l'admettre. L'ensemble n'était point harmonieux. Le nez de Mrs Osborne était imposant et lourd. On eût pu aisément le comparer à une pomme de terre écrasée. Certains gens dotés d'un mauvais esprit avaient d'ailleurs pensé - et même dit - que Mr Osborne avait certainement abusé du vin avant de demander en mariage l'ancienne Miss Stephens. Chez les Stephens, les Webb et leurs proches, les fiançailles avaient grandement étonné. Qui eût pu penser que le laideron, atteint de surcroît de crétinisme, de la famille épousât un homme aussi fortuné ? Assurément personne, et pourtant les deux jeunes gens s'étaient très bien trouvés et formaient un heureux ménage.

La maison qui appartenait à Mr Osborne n'était pas très loin de celle qui avait été prêtée au colonel Campbell. Le père de Mr Osborne - qui avait été un homme extrêmement fortuné et intelligent de son vivant - en avait fait l'acquisition peu après la première venue du roi à Weymouth. Il fallait bien avouer que le défunt Mr Osborne avait eu le nez plus creux et plus fin que celui de son fils, et la chance d'être pourvu d'atouts très utiles en société. Son fils avait malheureusement tout pris de sa pauvre mère, la fille d'un vicomte. Lady Eugenia Osborne avait été durant toute son existence une femme souffrante, et elle avait légué à son fils sa langueur et sa laideur. La mauvaise santé et la stupidité étaient d'ailleurs des traits inhérents à cette noble famille, sans quoi feu Mr Osborne - en dépit de sa ruse, de son intelligence et de sa beauté - n'eût jamais pu obtenir la main de cette noble dame.

Jane Fairfaix craignait en vérité la sœur cadette, la nouvelle Miss Stephens, celle qui s'était octroyé le droit de gérer les affaires matrimoniales de son frère. Miss Stephens, contrairement à sa sœur, avait été dotée de la beauté et de l'intelligence. Mais son caractère avait été gâté par la vanité et l'orgueil. Elle rêvait pour son frère d'un flamboyant mariage afin de faire oublier les origines de leur père, un homme qui s'était enrichi dans le marchandage. En épousant une riche héritière, son frère pourrait agrandir leur domaine et devenir une figure imminente et très respectée en Irlande. Hélas pour elle, son frère n'avait d'yeux que pour les femmes talentueuses et intelligentes et il n'avait cure du montant de leur dot. Il ne partageait pas non plus ses idées d'expansion. Halloran le contentait tel qu'il était : un domaine de taille moyenne qui assurait à toute la famille une vie confortable et qui permettait aux gens des alentours de bien vivre également.

On se rendit donc chez les Osborne, le soir qui avait été convenu, deux jours après l'histoire des chapeaux. Leur maison jouissait d'un bel emplacement, non loin de l'Esplanade. C'était la première fois que Mrs Osborne - mais aussi son frère et sa sœur - y séjournait. Cette résidence était épisodiquement habitée, et Mr Osborne songeait à la louer, ce qui ne plaisait pas à sa belle-sœur, Miss Stephens, qui ne comprenait pas qu'on puisse laisser chez soi des inconnus, moyennant une somme d'argent.

JaneWhere stories live. Discover now