Si tu meurs, je meurs

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— Eklyós.

— Quoi ?

— Je m'ennuie.

Il ne cherche même pas à retenir le sourire qui se dessine sur ses lèvres, de toutes manières cachées par la couverture du livre qu'il tient. Sýniel est rarement d'humeur à se plaindre d'un ton aussi geignard, mais l'ignorer ne fait que rendre la chose meilleure.

— Eklyós...

Il n'a pas besoin de lever les yeux pour savoir que Sýniel esquisse une moue boudeuse. Yeux plissés, lèvre inférieure retroussée ; un bruissement indique qu'elle a même croisé les bras.

— Eklyós si tu continues à m'ignorer je jure sur la serviette de bain du Grand Maître que-

Sýniel n'a pas besoin de finir sa phrase, Eklyós a déjà jeté son livre bien loin du sofa et attrapé sa capricieuse Commandante à la Lune pour qu'elle soit assise à ses côtés.

— Je ne t'ignore pas, comment pourrais-je ? Tu brilles plus fort que toutes les étoiles réunies.

Sa réplique mielleuse fut accueillie par un reniflement et une tape sur la poitrine.

— Ridicule.

— Tu rougis.

— C'est faux.

— Tu souris...

— NON !

Eklyós ne pourrait jamais renoncer à la sensation de chaleur qui se diffuse en lui à chaque fois qu'il a l'occasion de serrer Sýniel dans ses bras, de poser son menton sur sa tête, de caresser doucement son dos et de sentir son cœur battre, battre encore, un rythme rassurant et promesse de vie.

Rencontrer Sýniel avait toujours été pour lui une étape décisive de sa vie. Avant, c'était le froid, la désincarnation et un vide monstrueux. Après... C'était compliqué, plus douloureux d'une certaine manière. Mais ces moments de douceur que lui offrait l'autre Chasseur compensaient largement leurs milliers de disputes quotidiennes.

— C'en est bientôt fini.

La voix froide et désincarnée de Sýniel le ramena brusquement à la réalité.

— Qu'est-ce qui est fini, mon amour ?

— Nous si tu m'appelles encore comme ça.

C'était tout elle, ça, parler par antiphrase. Tout un langage à décoder que celui de celle qu'il aimait.

— Tu n'as pas répondu à ma question.

— La réponse est la même.

— Tu veux rompre ?

Sýniel roula des yeux et se tortilla pour pouvoir le regarder dans les yeux.

— Tu es stupide ou tu le fais exprès ? Je voulais dire « nous » dans le sens de... nous tels que nous le sommes actuellement.

— Je ne comprends toujours pas, j'en ai peur.

Elle s'éloigna de lui — ne pars pas, s'il-te plaît, pas maintenant — et commença à faire les cents pas.

— Tu ne crois tout de même pas que tout va rester comme avant après la guerre qui se prépare à avoir lieu ? Bientôt, tout sera bouleversé ; qui sait ce qu'il adviendra de nous ? Peut-être que nous serons séparés, que l'un de nous mourra, ou nous deux...

Chaque nouvelle supposition était comme un éclat de verre planté dans son cœur. Eklyós souriait, comme toujours, mais à l'intérieur il avait envie de hurler.

Oui, bien sûr qu'il y avait pensé.

— Chérie, calme-toi.

— Je suis calme.

— Oui, tu es calme. Tu es calme et je suis décontracté.

Un tressautement infime parcourut les lèvres de Sýniel et en un clin d'œil elle était de nouveau à côté de lui.

— Désolée, souffla-t-elle, mais cette discussion doit avoir lieu.

— Je sais.

— Si je meurs...

— Ensemble.

— Ensemble ?

— Ils l'avaient dit. Ensemble à jamais, Sýniel. Tu meurs, je meurs.

Elle se mordit la lèvre, détourna son regard du sien.

— Si tu meurs...

— Oui ?

— Je reste.

Une irrépressible vague d'amour le submergea et il la serra dans ses bras.

— Tu as toujours été la plus forte de nous deux.

— Je t'aime, mais-

— Je sais.

— Ils auront besoin de nous-

— Je sais. Je t'aime, tu m'aimes. Pas besoin d'excuses Sýniel, je te comprends.

Et c'est vrai, il comprend.

Tu meurs, je meurs. Je meurs, tu restes.

Mais ça fait toujours mal.

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⏰ Last updated: Jun 21, 2022 ⏰

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