Chapitre 57 - le Retour du Prince

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Maintenant que nous nous dirigeons vers le château, l'épuisement commence à avoir raison de mon assurance quant à cette décision de ramener Cérès ici. J'avance en trainant les pieds tout en imaginant la confrontation à venir avec le roi, la déception et la peur que je pourrais lire sur le visage de Mère et d'Ella, la désapprobation sur celui d'Arnault...

- Ai-je pris la bonne décision ? Ma rancœur envers Père vaut-elle la peine incommensurable que je vais infliger à mes proches ? -

Je tourne la tête vers mon prisonnier qui avance d'un pas las. Sachant pertinemment qu'il n'est pas en position de force, il n'a même plus l'envie de se débattre.

- Pour le moment -

Quand je le regarde ainsi, aveugle et entravé, j'ai du mal à imaginer qu'à cause de lui, Rodric n'est plus. Le souvenir de Cérès se cabrant et ruant comme un monstre déchaîné le jour de la Cérémonie de l'Union traverse alors mon esprit, supplanté par l'image terrible et inoubliable de mon frère à terre, la nuque brisée sous les yeux de la Cour tout entière. Sous les yeux d'Ella.

Je repousse cette sinistre pensée avant qu'elle ne ravive toute la haine et la colère que je ressens depuis ce jour funeste !

Mais en dépit de tout ce qu'il représente et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, je me suis habitué à la présence de l'étalon. Cela fait quatre jours que nous supportons mutuellement et j'ai eu beaucoup de temps pour réfléchir.

Le jour de l'accident, je l'aurais tué de mes propres mains si on m'avait laissé faire. Cependant, malgré l'état de choc de l'assemblée et la douleur de ma famille, Père a fait relâcher Cérès par la garde afin qu'il rejoigne le clan des Garanas. J'étais dans une fureur telle qu'il m'a fait enfermer dans mes appartements trois jours durant. M'empêchant ainsi de partir traquer la Bête pour venger Rodric. Ce que j'aurais incontestablement fait s'il n'avait posté toute une garnison devant ma porte.

Comme je lui en ai voulu ! Ce monstre avait tué son propre héritier et le roi, par respect pour les Garanas, l'a laissé s'échapper ! Tout cela me paraissait alors insensé et inacceptable. Et il m'a fallu des semaines avant de voir cette colère en moi se transformer en amertume.

Mais ce que je ressens maintenant est totalement différent. Après avoir vu l'animal dans son environnement naturel, veillant sur son troupeau, se battant pour sa vie, je ne peux que revoir ma façon de penser. Cérès n'est qu'un cheval après tout. Un splendide cheval sauvage qu'on a privé de liberté pour affermir une stupide tradition.

Aujourd'hui, le seul et unique responsable de cette tragédie reste Père. Je veux qu'il paye à ma manière sa volonté de reproduire les mêmes erreurs affligeantes. Et si avant mon départ, je souhaitais simplement ramener l'étalon pour le provoquer, mon intention est désormais toute autre. Cérès est un démon qui va me donner du fil à retordre mais je viendrais à bout de sa sauvagerie, quel que soit le temps que cela prendra.

Ragaillardi par ce regain de motivation, j'accélère la cadence, pressé d'en finir avec cette confrontation qui commence à me peser.

Nous approchons maintenant des hautes portes épaisses de quatre pieds de large qui protègent le château. Je m'annonce alors aux deux sentinelles en charge d'en surveiller l'entrée même si je suis certain que les plantons m'ont reconnu malgré la pénombre ambiante.

— Prince Amaël. Veuillez ouvrir les portes.

Les gardes s'exécutent et lentement, les deux énormes battants pivotent sur leurs gonds sans aucun bruit. Je n'y avais jamais prêté attention jusqu'à ce jour, mais l'appréhension que je sens monter en moi souligne le silence pesant qui règne à cet instant. Je réalise alors toute la maîtrise du pouvoir des Élus qui ont construit cet édifice.

Nous y sommes.

Face à moi, Père, Mère, Ella, Arnault et Lyssandre nous regardent franchir le seuil à la lueur du crépuscule. L'obscurité joue en ma faveur mais pour combien de temps... Encore quelques pas et nous serons assez prêt pour que chacun d'entre eux puisse bien nous voir. Arkos, moi et... Cérès.

La scène qui s'en suit est accablante.

— AMAËL ! Qu'as-tu fait ?

La reine menace de s'effondrer en prononçant ses mots. Elle est retenue par Père et Arnault qui se précipitent pour la soutenir comme ils peuvent alors qu'elle peine à contrôler sa respiration affolée et saccadée entrecoupée de sanglots. Le roi et l'Élu n'ont encore rien dit mais leur mine désapprobatrice et la terreur sourde que je lis dans leurs yeux quand ils reconnaissent l'étalon valent mille mots. Sans surprise, Lyssandre semble ne rien comprendre à ce qui passe. Elle reste en retrait, un peu confuse et ne sachant que faire tandis qu'Ella semble tétanisée par la vue du monstre noir.

Pour ne rien arranger à la situation, l'agitation mêlée d'angoisse palpable que provoque notre arrivée suffit à éveiller les sens de ce dernier. Il se met à piaffer et à s'ébrouer avant de pousser un hennissement si strident qu'il finit d'épouvanter toute la petite assemblée. Et c'est la goutte de trop pour Ella. Horrifiée mais toujours sans un cri, elle s'enfuit à toutes jambes en direction du château. Je sais qu'il n'attendait que ça alors j'envoie discrètement Arkos à sa suite en espérant qu'il pourra la retrouver et la calmer avant que me je présente à elle pour m'expliquer.

Je suis épuisé de corps et d'esprit mais je rassemble le peu de force qu'il me reste pour mener Cérès aux écuries avant qu'il ne provoque davantage de souci. En partant, je jette un dernier coup d'œil en direction de Mère et je la distingue qui repart la tête basse vers notre demeure, soutenue de part et d'autre part Arnault et Lyssandre. Je savais à quoi m'attendre en ramenant la Bête ici mais malgré toute la détermination qui m'anime, un élan de remords puissant me transperce le cœur à la vue de ce triste spectacle.

- Par tous les dieux ! Qu'ai-je donc fait ? -

Seul Père se tient encore là, dans les ténèbres qui ont à présent recouvert le royaume, sa silhouette massive se découpant dans la lueur des torches qui illuminent la façade du château. Je ne peux voir ses yeux mais je ressens la colère qui émane de tout son être. J'attends donc que son courroux s'abatte sur moi tandis que je passe à sa hauteur mais rien ne vient.

- Je ne sais pas ce qui est pire... -

Subir la pire de remontrances là, tout de suite ou bien devoir attendre demain de connaître mon châtiment...

Toujours est-il queje sens son regard me suivre tandis que je conduis Cérès vers ses anciensquartiers. 

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Where stories live. Discover now