Chapitre 23 - la Marque

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J'ai l'impression de marcher sur du coton.

Tandis que je m'approche du lourd rideau, je sens mes sens s'engourdir mais je ne perçois aucun autre effet secondaire. Ni fatigue, ni nausée, ni tournis ; juste une vague de bien-être qui m'envahit. Je suis simplement dans un état étrange, à la limite de l'exaltation.

C'est donc le corps et l'esprit légers que je traverse la cloison de tissu pourpre. Derrière, l'ambiance est particulièrement feutrée. C'est certainement dû au fait que l'espace est plus réduit et plus encombré de ce côté-ci, et il y fait aussi bien plus sombre. Je reste immobile quelques instants, le temps que mes yeux s'accoutument à la pénombre mais même ainsi, c'est à peine si je distingue le Marqueur qui me demande aussitôt de m'approcher.

— Venez vous installer. Je vois que vous avez pris l'élixir.

- Si lui « voit » quelque chose dans cette pénombre, il a bien de la chance ! -

Je me retiens de rire bêtement.

Si le breuvage en question me rend légèrement euphorique, il n'a apparemment pas annihilé mon cynisme toujours aussi affûté.

Je tente tant bien que mal de me frayer un chemin parmi les nombreux coussins colorés pour m'approcher de l'élu.

Il est installé près d'une petite lanterne, unique source de lumière dans cet espace confiné. Je devine qu'il est assis en tailleur à même le sol, sa cape se répandant autour de lui comme une corolle.

Lorsque j'arrive à sa hauteur - me félicitant intérieurement de ne pas m'être étalée sur lui -, il m'impose d'un geste de la main de prendre place à ses côtés et me désigne sur une sorte de paillasse que je n'avais pas repérée au milieu de tout cet enchevêtrement de tissu.

— Allongez-vous et tournez la tête vers là, m'ordonne-t-il en désignant du doigt un point invisible sur la paroi face à lui.

De plus en plus engourdie, je m'installe toutefois selon ses souhaits. Ma tête repose sur un coussin à priori anodin, mais qui une fois étendue, épouse - ou plutôt enserre - aussitôt la forme de mon crâne. De telle sorte que je me retrouve maintenue, le regard orienté dans la direction opposée à celle où se trouve le Marqueur, lui offrant ainsi mon front dégagé et prêt à recevoir la Marque.

Avant de m'allonger, j'ai tout de même eu le temps d'apercevoir les instruments de torture alignés sur un petit établi en bois à portée de main de l'Élu.

Heureusement que je suis un peu amorphe, auquel cas je pense que je serai certainement partie en courant à la vue des dizaines de lames, marteaux de poche et autres plumes d'oie de tailles diverses.

— Fermez les yeux, ajoute-t-il. Étant donné que vous ne sentirez rien, cela ira plus vite qu'avec votre prédécesseur.

À présent dans un état second, je décide de lui faire entièrement confiance au risque de souffrir le martyre et de peut-être me retrouver avec un poulet tatoué sur le visage.

- Ca y est, mon esprit divague ! -

Mais je sais pertinemment qu'il n'en sera rien alors je ferme les yeux et vide mon inconscient de tout ce que mon imaginaire pourrait lui infliger.

Ce qui s'avère finalement bien plus simple que prévu.

- Vive l'élixir ! -

J'attends maintenant que mon bourreau se mette à la tâche.

Pendant que je perds toute notion de temps et que je somnole à moitié, le visage comprimé par le velours tiède du coussin, j'entends vaguement le Marqueur traficoter ses outils.

Un bruit de lame qu'on affûte, le frottement du métal contre le bois, une légère odeur de brûlé... Et puis soudain, sortie de nulle part, une main fraîche vient fermement se poser sur ma joue. Le temps que je réagisse, je ressens une brûlure lointaine, presque imperceptible et un mouvement répétitif, une succession de chocs rapides et maîtrisés qui accompagnent la trajectoire de ce point de chaleur qui se déplace inexorablement le long de ma tempe droite.

À mesure que la main trace le motif tant attendu, sans hésitation, manipulant les outils de façon précise, je sens que l'effet de la potion commence à se dissiper.

Toujours aucune douleur à l'horizon mais je retrouve petit à petit la perception de chacune des parties de mon corps. Et le temps qu'il soit totalement redevenu mien, plus rien ne me touche.

Je comprends alors que le rite est terminé.

Je me retiens de porter ma main à mon visage pour explorer ce nouveau moi qui m'intrigue. J'ose toutefois entrouvrir un œil pour trouver le Marqueur affairé à nettoyer la pointe d'une plume. Je patiente sans bouger, n'ayant pas reçu d'ordre de sa part. Et je fais bien car je le vois attraper un récipient et s'approcher à nouveau de moi.

Je referme rapidement les yeux.

Une fraction de seconde plus tard je sens qu'il étale une sorte d'onguent - certainement cicatrisant - sur la partie de mon visage qui supporte à présent la Marque tant attendue.

— C'est terminé. Vous pouvez vous asseoir, m'informe-t-il sans autre commentaire.

Tout doucement, afin de ne pas brusquer mon corps encore un peu sonné, je me redresse jusqu'à me retrouver à sa hauteur, lui toujours assis en tailleur et moi les genoux repliés contre ma poitrine afin de m'assurer un peu de stabilité.

L'expression qu'il affiche est déconcertante !

Son visage est maintenant fendu d'un large sourire, révélant une rangée de dents légèrement de travers. Il tient un petit miroir à main qu'il me tend d'un geste sans équivoque et je comprends qu'il souhaite que j'admire son travail.

Je me saisis alors de l'objet mais pendant un instant j'hésite à me confronter à mon nouveau reflet.

- Vais-je me reconnaître ? Suis-je défigurée ? -

D'un mouvement tremblant, je relève lentement le miroir et me retrouve face à moi-même.

Je retiens un cri de surprise en plaquant ma main libre devant ma bouche et je lève les yeux vers l'Élu qui sourit de plus bel !

— C'est incroyable !

Un magnifique tatouage bleu nuit représentant la lettre E calligraphiée d'Élenie parcourt désormais ma tempe.

Le trait est d'une finesse incroyable même si pour le moment la peau est un peu boursoufflée et rendue brillante par la pommade cicatrisante.

Mais le résultat est bien là et il est au-delà de mes rêves les plus fous.

Je tourne la tête à droite, puis à gauche, je m'admire sous tous les angles et pour la première fois de ma vie, je trouve mon visage harmonieux.

Mes taches de rousseur que je déteste tant - je les tiens de maman - ainsi que mes yeux trop grands couleur de boue - et que j'aurais préférés verts comme les siens -, paraissent enfin trouver leur place à côté de cet ornement. Il accentue également la ligne de ma mâchoire que je trouve d'habitude trop ronde, trop enfantine.

Étrangement, je me sens plus femme après avoir subi ce rite et maintenant que je porte gravée à même la peau le symbole d'appartenance à ma nouvelle famille.

Je suis une apprentie Élue désormais.

Plus rien ni personne ne peut le contester.

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant