Chapitre 11 - Éloïse

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Je suis perdue dans mes réflexions lorsque maman m'interpelle pour m'annoncer qu'elle aperçoit les Faser à quelques pas de l'estrade qui accueillera l'Éclaireur un peu plus tard dans la soirée. Je suis son regard qui se perd dans la foule et repère rapidement la haute et gracieuse silhouette de Lady Faser ainsi que celle de son époux. Ils dominent de leur stature les nombreux individus rassemblés autour d'eux.

De là où je me trouve, je ne vois pas Lyssandre mais je suis certaine qu'elle ne doit pas être bien loin de sa mère qui la couve toujours comme si elle pouvait se faire charmer par le premier venu ! Il est vrai que la beauté de sa fille n'a pas son pareil dans tout le Royaume mais je trouve son attitude un tantinet exagérée. Tout le monde dans la Citadelle respecte leur famille et personne n'oserait publiquement courtiser Lyssandre et s'opposer ainsi aux dessins notoires de Lady Faser de voir sa fille un jour unie au prince Amaël.

Nous les rejoignons en nous faufilant tant bien que mal entre les petits groupes rassemblés, saluant quelques connaissances au passage. Je suis en train de jouer des coudes au milieu de cette cohue quand je distingue enfin l'éclat de la chevelure blonde de mon amie. J'abandonne alors maman pour la rejoindre. Je suis contente de la retrouver si tôt car nous allons chacune traverser un moment unique et charnière de nos vies respectives et je suis soulagée d'avoir une personne avec qui partager mon appréhension.

En temps normal, je me serais plus volontiers isolée dans un coin pour observer mes pairs et leur comportement de la même manière que je l'aurais fait dans la forêt avec une meute de loups ou un troupeau de sangliers. À la seule différence qu'observer les humains me donne toujours l'impression de regarder une pièce de théâtre grotesque ou chaque acteur se pavane pour paraître à son avantage et ne montre jamais son vrai visage.

Mais étrangement, ce soir, je n'ai pas envie de rester seule avec mon angoisse et je suis véritablement ravie de rejoindre mon amie.

Lyssandre se tient dos à moi mais même ainsi je peux déjà apprécier l'extrême raffinement de la robe qu'elle porte.

- Le travail de papa, cela ne fait aucun doute -

Elle est en grande conversation avec une autre fille brune également vêtue de blanc que j'ai très souvent aperçue à l'occasion des nombreux bals que nous avons fréquentés cette année mais dont je ne me rappelle - évidemment - pas le prénom.

De peur de paraître encore plus étrange que d'ordinaire ou tout simplement idiote, j'hésite un instant à m'immiscer dans leur discussion. Mais après quelques secondes de réflexion, je domine mon embarras et m'approche d'elles timidement, un peu gênée de les déranger dans leurs échanges et surtout agacée par ma mémoire qui me fait défaut.

L'inconnue m'aperçoit en premier et sur son visage se plaque une expression de stupeur.

- Que pourrait-elle éprouver d'autre ? -

Comme tout le monde, elle est n'est pas habituée à me voir me mêler aux conversations.

Bien entendu, je ne sais pas qui elle est mais elle, sait qui je suis. Elle sait également que Lyssandre et moi nous nous côtoyons en dehors des mondanités habituelles à cause de nos parents et ce, en dépit de nos différences plus que manifestes.

Mais elle sait surtout, comme tous ceux qui fréquentent les mêmes cercles que nous, que j'ai un Don. Et mon irruption inattendue - je le vois bien -, la trouble et l'intimide plus que de raison.

La moue de son interlocutrice fait réagir Lyssandre qui se retourne vivement et m'interpelle - un peu trop fort à mon goût -, un sourire radieux éclairant son visage.

— Ana ! Vous voici enfin ! Par tous les Dieux ! Cette dentelle est sublime ! Elle est presque aussi ravissante que la mienne ! s'extasie-t-elle en faisant mine de vouloir effleurer ma robe.

Je ne relève pas la maladresse, Lyssandre a une propension naturelle à déprécier tout ce qui n'est pas elle ou ne lui appartient pas. Le plus souvent je lui pardonne sa gaucherie en me persuadant que c'est là la faute de sa mère qui la met constamment sur un piédestal d'où elle a visiblement parfois du mal à redescendre.

— Votre père a véritablement des doigts d'orfèvre, n'êtes-vous pas de cet avis ma chère Éloïse ? ajoute-t-elle en se tournant vers son amie.

- Éloïse d'Avancour ! - Bien sûr ! Comment justifier, après avoir croisé cette fille un nombre incalculable de fois, que je puisse ne pas me souvenir d'elle ! Sa famille est pourtant tout aussi noble et respectée que celle des Faser. Je maudis mon manque d'intérêt pour mes semblables et remercie intérieurement Lyssandre. Ainsi, j'aurai l'air moins associable.

- Ou moins sotte -

— Bonsoir Lyssandre. Bonsoir Éloïse. Je vous remercie. En effet, mon père s'est donné beaucoup de mal.

J'aimerais pouvoir ajouter que je suis heureuse de la trouver là mais n'étant pas seule avec elle, voilà tout ce que j'arrive à prononcer.

Fort heureusement, Lyssandre qui est habituée à mes brèves tirades - mais surtout à monopoliser la conversation - ne relève en rien mon manque d'enthousiasme. En revanche, les yeux rivés sur le bout de mes chaussures, je ressens Éloïse me fixer d'un air mi dédaigneux, mi effrayé. Comme si j'étais un animal étrange et redoutable à la fois. C'est généralement l'effet que provoque mon caractère solitaire combiné à mes talents presque surnaturels chez les personnes qui ne me connaissent pas.

Je sais que cela devrait m'attrister, seulement la majorité du temps ce n'est absolument pas ce que je ressens. Et ça l'est encore moins à cet instant, à mesure qu'approche l'heure de faire face à ma nouvelle vie.

J'attends ce moment depuis toujours, c'est ce qui m'a aidé à affronter le regard des autres tout au long de ces années. À me contenter de cette solitude intérieure et de l'affection que je pouvais trouver auprès des animaux.

Mais je sais que ce soir, je ne serai plus seule. Cette pensée me donne l'audace qui m'a fait défaut jusqu'à présent en société et emprunte de cette toute nouvelle assurance, j'ose relever les yeux pour les planter dans ceux d'Éloïse avec un air de défi.

C'en est trop pour elle !

Déroutée par mon comportement inhabituel et tout à coup extrêmement mal à l'aise, elle profite du tapage que provoque l'arrivée de la garde pour s'excuser et nous fausser compagnie.

— Lyssandre, Ana, pardonnez-moi ! Mes parents ont émis le souhait de vouloir apprécier l'arrivée de la famille royale en ma compagnie et voilà déjà la garde qui se présente ! Je dois donc me presser de les retrouver. Je vous souhaite à toutes les deux bonne chance pour tout à l'heure, déclare-t-elle en s'éclipsant aussi vite que lui permet la bienséance.

Et je dois bien avouer que je suis satisfaite de la voir s'éloigner.


Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Where stories live. Discover now