Chapitre 3 - la robe

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Maman ne jure plus que par la Cérémonie de demain. À défaut de me voir un jour porter une magnifique tenue d'Union, elle n'a de cesse de vouloir me transformer en reine de beauté. Et j'ai beau avoir en horreur la broderie, la soie et tout ce qui ressemble de près ou de loin à une robe, je n'ai pas eu le courage de lui ôter cette maigre consolation.

Heureusement, papa est le tailleur le plus renommé de la Citadelle. Il a des goûts extrêmement raffinés pour un homme et ses tissus qui lui arrivent des terres lointaines n'ont pas leurs pareils dans tout le Royaume. Grâce à son savoir-faire et à sa sensibilité innée, son carnet de commandes ne désemplit pas. La reine elle-même s'offre ses talents à prix d'or afin qu'il confectionne ses toilettes et celles des dames de la Cour.

Pour tout cela, et malgré mon rejet de tout ce qui concerne la mode, je lui fais entièrement confiance. Je sais qu'il saura respecter mon penchant pour la sobriété tout en tâchant de faire plaisir à maman.

Je suis affairée à vérifier les sabots d'un poulain lorsque j'entends les six coups de cloche indiquant à tous les travailleurs de la Citadelle que le moment est venu de terminer leur journée de labeur. Et bien évidemment, je suis en retard.

L'heure des essayages que je redoute tant est arrivée plus vite que prévue. Je sais que je vais certainement le regretter mais j'ai promis à maman de lui consacrer un peu de mon temps. J'appréhende ce moment depuis le lever et j'ai tenté d'occuper mon esprit et mon corps toute la journée en aidant Sir Tomas. Nous avons examiné un arrivage de jeunes chevaux qu'il devra par la suite débourrer avant de pouvoir les vendre. Mais j'aurais dû me douter en poussant la porte de la maison que l'odeur de crottin ne ferait pas bon ménage avec les projets qu'elle me réserve.

Comme à son habitude, papa me lance un bonsoir distrait depuis le salon où il doit être en train de lire les nouvelles du jour. Pour ma part, je n'ai pas le temps de retirer mes bottes que maman est déjà dans tous ses états.

— Mais enfin Ana ! Ou étais-tu encore passée ? Et quelle odeur ! On croirait que tu t'es roulée dans le fumier !

- Au secours ! -

— Et ta jolie robe que ton père a passé tant de temps à confectionner ! Tu ne vas quand même pas ruiner tout son travail ? Tu as vu tes ongles ? Et tes cheveux ? Par tous les Dieux, Ana !

- Pourquoi faut-il toujours qu'elle exagère ? -

Maman a toujours été dans le déni pour tout ce qui touche à mon Don. Elle sait parfaitement où je passe mes journées et plus ou moins ce que je fais. Même si elle prétend le plus souvent le contraire...

— Maman ! Je ne me roule pas dans le fumier, tu le sais bien. J'aide simplement Sir Tomas avec ses chevaux... Laisse-moi un instant, je vais faire un brin de toilette et je te rejoins.

Je m'échappe en direction de ma chambre. Une fois à l'étage, je me retiens de sauter par la fenêtre et prendre mes jambes à mon cou tant qu'il est encore temps. Cette soirée risque d'être la plus longue de toute ma vie !

Lorsque je redescends, à l'exception de la crasse sous mes ongles dont je n'ai pas réussi à me débarrasser, je suis relativement propre. Je suis même parvenue à canaliser la crinière châtain foncé qui me sert de chevelure avec l'aide de quelques rubans.

Je retrouve maman dans le salon près de la table à souper. Pour mon plus grand soulagement elle semble avoir repris ses esprits et parait plus détendue tandis qu'elle s'applique à ouvrir délicatement ce qui semble être l'une des jolies boites pastel que papa utilise pour délivrer ses commandes. À mon approche, elle se tourne vers moi un sourire aux lèvres et des étoiles plein les yeux.

- Il est encore temps de fuir Ana...

Je fais taire cette voix intérieure et lui souris en retour. Pour me donner du courage, mais aussi pour tenter de lui rendre ce moment en famille agréable comme je me suis engagée à le faire. Papa, quant à lui, assiste à la scène confortablement installé près du feu crépitant qui illumine la pièce et dégage une douce chaleur.

Lentement je me m'approche de maman, mes yeux se posent alors sur le contenu de la boîte et...

- Quelle surprise !

Jamais je n'aurai imaginé penser une telle chose un jour mais ma robe de Cérémonie est tout simplement splendide !

D'un blanc immaculé, elle repose artistiquement pliée sur du papier de soie. Le tissu est sobre mais d'une douceur incroyable et sur la dentelle du décolleté et des manches, des motifs d'une rare finesse se profilent. Chevaux, loups, papillons..., ils sont parfaitement représentés et soumis à la lumière dansante des flammes, on pourrait presque les croire animés.

Qui aurait cru que la vue d'un tissu me procurerait un jour une telle sensation ? Papa s'est réellement surpassé ! Les larmes aux yeux, je me jette à son cou et l'embrasse sur les deux joues pour le remercier de si bien me connaître. Je n'aurais pu rêver mieux ! Un peu surpris par cette réaction plutôt inhabituelle, il marmonne quelques mots inaudibles couverts par mes sanglots mais je sais bien qu'il est heureux quand je me détache de lui et le vois rougir de plaisir.

À ce moment-là, au-delà de la profonde gratitude que je ressens pour mon père qui a réalisé ce chef d'œuvre rien que pour moi, je réalise également que c'est la dernière fois avant longtemps que je partage avec mes parents un moment tel que celui-ci. Demain, je les quitterai pour rejoindre la Maison des Apprentis.

Dans un élan d'émotions, je me relève et serre à son tour maman dans mes bras. Peu habituée elle aussi à de telles démonstrations de ma part, elle tressaille mais me rend mon étreinte avec tendresse.

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Where stories live. Discover now