Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)

Chapitre 16 - l'Éclaireur

Subitement, à travers le changement radical qui se fait ressentir tout autour de nous, je sais que l'Éclaireur a dû faire son apparition quelque part dans la foule. 

En effet, quelques instants plus tard, tandis qu'il se hisse sur l'estrade, papa et moi apercevons enfin le haut de son chapeau à large bord bleu nuit surmonté d'une gigantesque plume teintée de rouge, couleurs emblématiques de la Couronne.

J'aperçois également Maman qui vient de prendre congé de son amie pour nous rejoindre près du buffet ou nous nous trouvons encore. D'ici, la vue est parfaite puisque légèrement surélevée et je ne serai pas non plus trop éloignée lorsque mon tour viendra de gravir les marches.

- Moins j'aurai de distance à parcourir, mieux je me porterai -

En observant le rassemblement autour de l'Éclaireur, je me rends compte que la majeure partie des adolescents vêtus de blanc se sont tous rapprochés de celui-ci.

- Combien parmi ces inconnus choisiront le Don ? -

À vue d'œil, je dirais que nous sommes environ cinquante cette année à devoir faire notre choix et parmi eux, je pense n'en connaitre qu'une petite quinzaine.

- Enfin ! Si ma mémoire ne me fait pas encore défaut -

Pour occuper mon esprit, je tente de déchiffrer les expressions des visages de ceux que j'arrive à entrevoir depuis mon petit promontoire. Mais ce n'est pas aussi simple qu'avec les animaux qui ont des postures ou des signaux bien spécifiques pour chacune des émotions qu'ils souhaitent faire passer.

Je suis totalement focalisée sur cet exercice lorsque maman interrompt mes pensées.

— Ana, comment te sens-tu ? me demande-t-elle pleine de bonnes intentions.

Seulement ce n'est pas comme avec papa... Si je lui fais part de mon ressenti, je sais qu'il va inéluctablement déteindre sur elle. S'ensuivra un enchaînement de conseils inutiles et farfelus dans le but de tenter de me rassurer - enfin, surtout elle - et qui ne produiront malheureusement que l'effet inverse.

Aussi, sachant que papa ne me trahira pas, j'élude la question de mon mieux et espérant avoir l'air aussi convaincante que possible.

— Je vais bien maman, je suis seulement un peu triste d'avoir fait mes adieux à Lyssandre. Mais j'ai hâte d'en finir enfin avec cette Cérémonie même si cela signifie que nous devrons nous aussi en passer par là avant mon départ.

Au tour de maman de dissimuler la tristesse que je lis dans ses yeux à l'évocation de mon départ imminent. Ou bien est-ce la déception de ne pas me voir choisir l'Union ? Je pense que je ne le saurai jamais vraiment et je préfère ne pas poser la question.

— Oui, Lyssandre. Bien sûr. Je l'ai aperçue qui discutait avec Éloïse et toi tout à l'heure, elle était encore plus ravissante que d'habitude dans cette splendide robe que vous lui avez confectionnée mon cher Julius ! répond-t-elle en se tournant vers papa. Le prince va tomber en pâmoison devant elle, c'est inévitable ! J'ai bien vu comment les hommes la dévisagent. C'en est presque indécent. Ne trouvez-vous pas ?

Mais ni papa ni moi n'avons le temps de réagir à son interrogation. Un puissant coup de clairon achève de rendre muette l'assistance qui, coutumière du déroulement de cette Cérémonie, n'était pourtant déjà plus très bruyante. L'Éclaireur est fin prêt à recevoir nos Choix.

Comme à chaque fois, je ne peux m'empêcher de penser que la Couronne a parfaitement bien orchestré cet instant et je suis totalement captivée par l'atmosphère de ce moment à la solennité évidente. Le soleil prêt à disparaître derrière la cime des arbres ne dispense plus qu'une lumière faible et incertaine dans un ciel gris bleu, presque sombre, faisant ressortir les dizaines de silhouettes blanches s'apprêtant à changer de vie.

Et je peine à réaliser que cette fois-ci, je suis l'une d'entre elles.

Disséminés un peu partout autour de la foule, des flambeaux de taille considérable ont été allumés, éclairant de leurs flammes puissantes l'assemblée et les tables du banquet. Dans l'herbe rase et sur chacune des marches qui mènent à l'estrade, des centaines de cierges disposés face à face et à intervalles réguliers composent une allée illuminée presque féerique, ajoutant encore à l'ambiance enchanteresse de ce moment.

L'espace d'un instant, j'oublierai presque ce qui m'attend et le lieu dans lequel je me trouve.

Je suis brutalement ramenée à la réalité lorsque l'Éclaireur, un parchemin déroulé entre les mains, proclame d'une voix tonitruante.

— En tant que représentant de la Couronne et conformément à la Loi qui régit notre Royaume, j'enjoins tous les jeunes éleniens ayant atteint la majorité cette année à bien vouloir se présenter lorsque leur tour viendra. À annoncer leur nom et prénom à voix haute et distincte, à énoncer leur Choix qui sera consigné dans le Registre Royal et à réciter la Formule adéquate.

Pas un bruit ne vient troubler son discours et papa qui s'est approché sans que je ne le remarque, pose ses deux mains sur mes épaules. Je tressaille mais ne me retourne pas, mon regard toujours fixé sur cet homme et son chapeau grotesque. Nous savons tous les deux qu'il n'en a pas terminé avec sa tirade.

— Ceux qui auront choisi l'Union se verront remettre un Bracelet offert par la Couronne. Qu'ils devront porter jusqu'à la prochaine Cérémonie durant laquelle ils l'échangeront, ainsi que leurs Vœux, avec le partenaire qui aura été choisi par leur famille. Ils seront alors liés par le Pacte et tout manquement à celui-ci entraînera le Châtiment Suprême; l'Exil, déclare-t-il sans aucune émotion apparente.

Pour ma part, je frissonne comme à chaque fois que j'entends cette sentence irrévocable. Papa qui a ressenti mes tremblements resserre un peu plus sa prise sur mes épaules tandis que la voix assourdissante se fait à nouveau entendre. Cette année, ce qu'il s'apprête à ajouter prend pour moi toute son importance.

— Ceux qui auront choisi le Don recevront la Marque et intégreront dès ce soir la Maison des Apprentis ou ils seront formés pendant une année, au terme de laquelle ils deviendront des Élus et serviront le Royaume. Ils seront liés par le Pacte et tout manquement à celui-ci entraînera le Châtiment Suprême, l'Exil. À présent, je vous demande la plus grande attention, la Cérémonie du Choix est sur le point de débuter, achève-t-il.

Mais contrairement à ses recommandations, une certaine agitation se fait tout de même ressentir parmi la foule d'adolescents en tenues blanches qui se pressent autour de l'allée de cierges, effrayés à l'idée de ne pas être assez proches pour entendre leur nom.