Chapitre 4

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- Blaine -

Septembre 1941

Le froid que j'ai ressenti à ce moment-là n'avait plus rien à voir avec le gel qui recouvrait le sol. Des doigts glacés qui ont entourés mon cœur d'un souffle de désespoir. Je l'ai vite chassé lorsque nous nous sommes mis en marche, guidés par des lampes torches.

Je regardais la fumée que nous recrachions tous par la bouche. Encore une fois, je m'imaginais ailleurs. J'étais dans l'antre d'un dragon. Il ronflait. J'avais peur, mais comme le disait mon grand-père « nul courage sans peur », alors je continuais d'avancer au travers des ténèbres jusqu'à retrouver cette étincelle d'espoir, l'espoir de revoir un jour la lumière.

On n'a pas vraiment le temps de rester bien longtemps perdu dans nos pensées ici. Très vite, la réalité m'a rappelé à elle. L'une de nos camarades, épuisée par le transport, ne cessait de tomber, même lorsque deux autres femmes passèrent ses bras par-dessus leurs épaules pour la soutenir.

Et puis ce fut le tour de Josianne. Elle n'avait pas dit un mot depuis notre arrivée, mais elle m'avait paru assez solide pour tenir jusqu'au camp. Elle est tombée comme une masse et ni moi ni Elisheba n'avons eu la force de la relever. Un SS, accompagné de l'allemande que j'ai maintenant rebaptisé « Tête de Taureau » sont sortis de nulle part. Tête de taureau a tiré sur les cheveux de Josianne en lui hurlant « entstehen ». On m'a dit plus tard que ça voulait dire « lève-toi », mais Josianne n'en avait pas la force. C'est à peine si elle parvenait à garder les yeux ouverts. Alors le SS lui a mis un coup de pied dans le ventre, suivit de nombreux autres tandis que Tête de Taureau lui flagellait les jambes avec sa cravaches.

Lorsque j'ai voulu aller l'aider, j'ai reçu à mon tour un coup de cravache au visage qui m'a projeté en arrière, me faisant tomber sur le dos. Elisheba s'est empressée de m'aider à me relever et à me remettre dans le rang.

- Tu portes elle ou elle mourir ici, m'a dit le SS avec un sourire en coin quand ils se sont eu lassés de la tabasser.

J'étais plus petite et moins forte que Josianne, mais j'aurais préféré mourir avec elle dans la nuit froide que de la laisser là sans l'aider. Non sans mal, Elisheba et moi l'avons relevée avec l'aide d'une autre dame qui ne manquait pas de force.

Josianne était dans un sale état. C'est jambes étaient pleines de coupures qui coulaient jusqu'à ses pieds et elle se plaignit plusieurs fois que son ventre lui faisait mal, mais je ne pouvais rien faire tant que nous étions en marche. S'arrêter signifiait arrêter de vivre.

Je ne crois pas que le trajet a été très long, trois ou quatre kilomètres peut-être, mais dans notre état ça revenait à faire l'ascension du Mont-Blanc.

On a traversé un grand mur d'enceinte que la nuit rendait encore plus lugubre qu'il ne l'est le jour. Il y avait des sentinelles, arme au poing, de tous côtés et des fils barbelés tout le long. De grands projecteurs éclairaient une cour centrale où on nous a fait nous aligner toujours en rang de cinq. La lumière vive nous blessa les yeux après plusieurs jours enfermés dans l'obscurité et cette marche nocturne, mais personne ne dit mot. Et nous restâmes comme ça, debout, dans le froid, sans rien d'autre que ce que nous portions sur le dos, toute la nuit. Malheur à celle qui essayait de s'asseoir ou qui s'évanouissait.

- Le soleil va se lever, il va falloir faire place, a dit le SS qui avait tabassé Josianne et qui semblait être le seul à avoir des bribes de français.

Faire place à quoi ? me suis-je demandée.

Le ciel était encore noir et je ne distinguais pas les couleurs bleus-orangée de l'aube, quelle heure pouvait-il être ?

Entre deux océans - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant