Chapitre 26

3 1 0
                                    

Septembre 1942

- Fait quelque chose ! Je t'en supplie ! Je ne peux plus le supporter.

J'étais dans le bureau de Müller en train de pleurer. A peine avais-je franchi le seuil de la porte que j'avais éclaté en sanglot. Il ne devait pas s'attendre à ça. Il est resté un instant interdit avant d'essayer de me prendre dans ses bras mais je l'ai repoussé.

- Tu sais comment ils les surnomment ? Ces malheureuses qui doivent sautiller pour pouvoir se déplacer ? Les lapines ! Et il va recommencer. De nouvelles polonaises sont arrivées pour se faire charcuter les jambes et se faire inoculer des bactéries. J'ai dû l'aider à couper la jambe d'une femme plus jeune que moi. Une enfant !

Je tournais en rond dans le bureau en pleurant de façon hystérique. Müller se contentait de me regarder sans rien dire, de toute façon je ne lui en laissais jamais le temps.

- Et la semaine dernière il y a eu la sélection des plus âgées qu'on a envoyé se reposer. Se reposer définitivement bien sûr ! Et là il n'arrête pas de dire qu'il veut faire des expériences sur des petites filles pour faire mieux qu'un certain Clauderg...

- Clauberg, il travaille..., a-t-il essayé de m'interrompre une fois encore, en vain.

- Je m'en fiche d'où vient ce charlatan. Il est là en train de prendre des grands airs et ils appellent ça de la médecine. C'est de la torture. Fait quelque chose, s'il te plait. Je ne veux plus participer à ça. Je ne veux plus le regarder mutiler des femmes pour trouver des traitements imaginaires à des maladies qu'elles n'auraient jamais eues s'il ne les avait pas touchées.

Müller est resté impassible dans son fauteuil à m'observer. J'ai fini par me calmer mais je n'ai rien entendu de ce qu'il m'a dit quand il a pris la parole. 

- Il y a bien quelqu'un à qui tu pourrais en parler et qui pourrait faire quelque chose, l'ai-je interrompu.

- Catrina...

- Fait moi sortir du Revier. Je veux retourner dans les Blocks. Je m'en fou de la neige et de la faim. On crève autant de faim au Revier et je préfère mourir de froid que d'essayer de sauver des femmes qui  ont été condamnées dès l'instant où elles sont arrivées à l'infirmerie.

Je n'ai pas obtenu gain de cause. Il m'a juste promis qu'il essayerait d'en parler à quelqu'un. Ça vaut ce que ça vaut.

Quand je suis revenue au Revier, quelle ne fut ma surprise d'y voir Vania, la petite protégée d'Ilona. Elle avait les avant-bras recouverts de croutes mais ce qui m'a interpelé c'était ses nombreuses ecchymoses et son nez cassé.

- Je suis contente de te revoir, a-t-elle murmuré.

J'ai dû tendre l'oreille pour comprendre ce qu'elle disait. C'est avec horreur qu'elle m'a appris la mort d'Ilona lors d'un pugilat dans le Block où elles étaient. Une bagarre avait éclaté entre une hongroise et une ukrainienne. Plusieurs filles s'étaient faites arracher leurs cheveux par poignée, d'autres s'étaient vues lacérer le visage à coups de griffes. Ilona a voulu mettre fin à la bagarre avant que les Aufseherinnen n'arrivent, mais elle n'en a pas eu le temps et a fait partit des punies.

- Elle a été pendue à un crochet, fut tout ce que pu me raconter Vania du supplice de mon ancienne amie.

Désormais seule, Vania est devenue la victime des plus anciennes du Block qui avait une dent contre Ilona.

- De toute façon, je vais bientôt partir, m'a-t-elle dit tandis que je lui diagnostiquais la gale.

- Partir où ?

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now