Chapitre 16

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Mai 1942

Je ne sais pas à quelle sorte de jeu étrange nous jouons l'Obergruppenführer Müller et moi. Je ne sais pas si ça me fait peur ou non.

Après l'incident du Revier et la mort d'Elisheba, je n'ai plus entendu parler de lui jusqu'à la fin avril. J'allais partir avec mon Kommando quand j'ai été appelé par Ledwine. Un frisson m'a parcouru en l'entendant crier mon numéro de matricule. Je n'avais rien fait de répréhensible, à part peut-être voler le pain d'une ou deux filles de mon Block et peut-être aussi un peigne artisanal qui avait les dents si serrés qu'il attrapait les poux qui se perdaient sur ma tête. Mais j'avais été discrète, j'en étais certaine et je n'avais même pas profité des petits pains volés, je les avais donné à Hosanna et à Ava.

- L'Obergruppenführer Müller veut te voir, m'a-t-elle dit avec un sourire vicieux.

Elle devait s'attendre à ce que je sois punie et je m'y attendais aussi même si j'ignorais pourquoi. Comme-ci il fallait une raison me suis-je raisonnée.

Elle m'a conduit jusqu'à la porte de son bureau sans jamais se départir de son sourire mauvais et en me gratifiant de coup à la tête lorsqu'elle estimait que je n'avançais pas assez vite.

La boule qui s'était formée dans mon ventre lors de mon entrée dans les bureaux SS s'est un peu dénouée quand j'ai aperçu Mahalia qui servait d'interprète à un soldat qui interrogeait une jeune fille qui n'avait pas l'air d'avoir plus de quinze ans.

Je suis passée à côté d'elle et je l'ai vu me suivre du coin de l'oeil. L'angoisse est alors revenu mordre mes entrailles. Qu'allait-il se passer ? Quand quelqu'un rentrait dans les bureaux il en ressortait rarement. Je n'avais été promu à aucuns emplois de bureau par l'Arbeitsdienstführer et de toute façon personne n'avait besoin d'une secrétaire qui tape avec deux doigts et n'a pas un niveau d'allemand plus élevé que celui d'un jeune enfant. 

Nous nous sommes arrêtées devant une grande porte en bois massif sur lequel était inscrit « Johann Müller – Obergruppenführer ».

Johann. Je me suis souvenue que Yéléna m'avait dit qu'il s'appelait comme ça, mais ça m'avait échappé.

- Komm rein, a répondu une voix grave après le bref coup de Ledwine à la porte.

Elle m'a poussé à l'intérieur du bureau, a échangé quelques paroles avec l'Obergruppenführer  et a pris congé. J'ai vu son air déçu quand elle est sortie. Elle avait dû s'attendre à assister à la punition. Il se murmure que Müller n'a pas son pareil pour donner des coups et qu'il manie aussi bien la cravache que le fouet.

Toujours debout derrière son bureau il m'a observé sans cacher son amusement face à mon appréhension.

J'ai fini par observer la moquette au sol pour ne pas avoir à affronter ses yeux bleus qui me donnaient l'impression de lire en moi comme dans un livre ouvert. Une affreuse moquette d'un vert champagne délavé.

- Tu n'as pas l'air contente de me revoir Beau Yeux.

Ses intonations graves prononcées avec calme m'ont fait frissonner. « Qu'on en finisse au plus vite par pitié », ai-je pensé sans oser le dire.

Puis je me suis souvenue que je connaissais quelqu'un qui venait parfois aux bureaux et qui en ressortaient vivantes, du moins jusqu'à maintenant. Ilona. Ilona et ses faveurs au commandant. Voilà pourquoi je suis là, ai-je alors compris. Il a fait admettre Elisheba au Revier, il m'a permis de rester en vie, je lui dois une faveur. 

- Je ne me laisserai pas faire.

J'ai sursauté au son de ma propre voix. Je l'ai dit tout haut comme la pauvre imbécile que je suis et en allemand qui plus est !

Entre deux océans - Tome 2Onde as histórias ganham vida. Descobre agora