Chapitre 23

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Juin 1942

Je crois que Timéa est morte. Je ne peux pas l'affirmer parce que je n'ai rien vu. Mais elle a disparu et elle savait que ça allait arriver. Elle était venue me dire que sa fin était proche il y a quelques jours. Elle voulait me confier quelque chose. Son terrible fardeau. Un secret si incroyable que je ne l'aurais jamais cru si je n'étais pas là pour le vivre. Un secret qui pourrait me coûter la vie. Elle m'a confiée une vie.

- Attend, je ne comprends pas ce que tu veux dire, avais-je essayé de l'arrêté tandis qu'elle m'entrainait dans les escaliers.

J'avais manqué de tomber plusieurs fois mais elle avait continué à me trainer derrière elle avec une force assez surprenante. Elle parlait à toute vitesse dans un mélange de roumaine et d'allemand se qui la rendait incompréhensible. Elle m'a poussée à l'intérieur d'une salle vide qui venait d'être fraichement repeinte. 

- C'est ici que tout c'est passé, a-t-elle dit à bout de souffle. Regarde, ils ont tout nettoyé ! Personne ne pourra savoir. Ils ont tout détruit.

Elle roulait des yeux fous et j'étais un peu apeurée de la voir dans cet état. Je ne comprenais toujours pas où elle voulait en venir alors qu'elle continuait de dire qu'ils avaient effacés toutes les preuves et que personne ne la croirait. 

- De quoi tu parles ? Qu'est-ce qui s'est passé ici ?

Elle a essayé de m'expliquer mais elle était tellement paniquée que son discours ne ressemblait à rien. C'était comme parler avec un jeune enfant qui balbutiait ses premiers mots mais essayait quand même de faire des phrases complètes. 

- Timéa, calme-toi, tu me fais peur !

- Tu as raison d'avoir peur, a-t-elle dit en m'attrapant par les épaules.

Elle regardait de tout côté, à gauche, à droite, même en l'air. Elle tendait l'oreille au moindre petit craquement en me forçant au silence en plaquant sa main contre ma bouche. Elle a crié, me faisant sursauter au passage, quand un oiseau est venu se poser près de la fenêtre. J'avais failli me faire pipi dessus en pensant qu'il s'agissait d'un soldat. Nous aurions été punies pour nous êtes trouvées là, j'en ai la certitude maintenant que je sais tout ce que je sais.

- Et maintenant tu me fais mal, lui ai-je dit alors qu'elle enfonçait un peu plus ses doigts dans la chair de mes bras.

Elle m'a ignorée. Elle essayait de rassembler ses pensées, débutait une phrase, s'arrêtait, recommençait. Elle cherchait les bons mots pour être certaine que je comprenne bien ce qu'elle avait à me confier. Elle a semblé répéter plusieurs fois son discours dans sa tête avant d'enfin se décider à me lâcher. Elle s'est mise à parler si bas que j'ai dû me concentrer pour comprendre tout ce qu'elle me disait. 

Elle avait pris soin de choisir un vocabulaire simple et elle me demandait de répéter à chaque fin de phrase pour s'assurer que j'avais bien saisi ses paroles. 

- Tu dois m'écouter. Bien. Attentivement. Je crois que tu es une gentille fille. Je t'ai vu laisser ton pain pour des malades. Tu t'es battu pour empêcher qu'on remette certaines filles au travail alors qu'elles étaient mal en point. Tu as fait comme si c'était pas grave les coups pour défendre les causes quoi toi avoir à coeur. Et Joséphine t'aime bien. C'est pour ça que je peux te faire confiance.

J'ai été assez surprise d'apprendre que Joséphine m'appréciait. Elle ne m'avait jamais adressée la parole. Elle ne parlait qu'à Timéa et bien souvent dans le creux de son oreille pour n'être entendue de personne d'autre. J'avais dû gagner son affection en prenant soin de toujours lui rapporter du chocolat lorsque j'étais convié chez Müller.

Entre deux océans - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant