Chapitre 9

9 2 0
                                    

23 décembre 1941

C'est la première fois depuis longtemps que je connais la date réelle. Il faut dire que tout le monde ne parle que de ça. Dans deux jours c'est Noël.

Il y a celles qui sont excitées à cette idée, celles qui sont encore plus malheureuses que d'habitude et celles comme moi que ça laisse totalement indifférentes.

Cependant, il se murmure que nous pourrions avoir une journée de repos. Noël tombe un lundi. Nous aurons donc deux jours complets de repos si cette rumeur se vérifie. Il n'y a pas de raison qu'elle soit fausse, les anciennes détenues qui ont déjà connus un Noël ici sont tellement enthousiastes à cette idée que ça doit être vraie.

Il n'y a pas grand-chose qui me rend enthousiaste pour le moment. Sauf peut-être le retour d'Ava. J'ai oublié de le mentionner la dernière fois que j'ai eu l'occasion de pouvoir écrire, mais je commençais à manquer de papier.

En effet, le dimanche de la dernière semaine de novembre nous avons eu droit à une soupe liquide accompagnée d'une pomme-de-terre et au soir d'un pain, un morceau de saucisson et une petite tranche de margarine le tout accompagné de café. La soupe avait une drôle de couleur blanchâtre et un arrière-goût amer tout comme le café.

Nous avons su plus tard qu'il arrivait que la soupe et le café du dimanche soit agrémenter d'une dose non négligeable de saccharine. Cet édulcorant censé nous redonner un peu d'énergie à provoquer de terrible irritation de la vessie à plusieurs d'entre nous, quelques cystites et la mort d'une diabétique qui n'a pas supporté cet apport massif de sucre après autant de jours de privation.

Ava a enchainé les cystites avant que ça ne s'aggrave en une dysenterie accompagnée de sang. C'est grâce à Ilona et l'une de ses faveurs qu'elle a pu être admise au Revier pour, faute d'être soignée correctement, au moins bénéficier de deux semaines de repos.

- Tu m'en dois une, m'a dit Ilona.

Maintenant je sais ce que sont les faveurs. Je ne suis pas complètement stupide et je m'en doutais un peu, mais je ne voulais pas y croire alors Ilona a fini par me le dire explicitement pour je cite : « Que tu n'aies plus l'air d'une cruche imbécile et sainte nitouche de surcroit. ».

Elle m'a quand même précisée qu'avoir l'air d'une innocente cruche leur plait beaucoup. Surtout les vieux. Les jeunes eux s'en fichent du moment qu'ils peuvent tirer leur coup. Les vieux aiment les jeux. Toutes sortes de jeux.

- Des jeux pour lesquelles tu n'as pas assez d'imagination, a-t-elle cru bon de me préciser.

Ilona ne m'a pas encore dit ce qu'elle voulait mais je suppose qu'un jour viendra où je devrai me passer de mon petit pain noir rassis. Le blanc je m'en fiche de l'échanger, il est toujours moisi. Bien que je ne fasse pas la fine bouche et je le mange en entier moisissure comprise.

- Les moisissures c'est des champignons non ? Et les champignons on les mange, donc c'est comme-ci tu mangeais une tartine aux champignons, a un jour déclaré Elisheba.

Je me suis abstenue de lui dire que je détestais les champignons. Ici on n'a pas le luxe de faire la fine bouche.

Je n'aime pas beaucoup le saucisson non plus. A la maison il n'y avait que Iain et maman qui en mangeaient. Je n'en avais jamais mangé avant d'arriver ici et j'en savoure chaque minuscule morceau que je croque dans cette minuscule tranche qui nous est accordé le dimanche. D'après Josianne il est infecte et jamais frais mais comme je n'en avais jamais mangé avant je n'ai aucun élément de comparaison et lorsque mon estomac me fait souffrir en se tournant et se retournant pour me faire savoir à quel point la faim me tenaille ce morceau de saucisson me semble être un festin.

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now