Chapitre 22

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- Blaine -

Juin 1942

Il m'a embrassé. Je ne parviens plus qu'à penser à ça. C'est arrivé sans prévenir alors que j'étais debout devant la cheminée éteinte.

J'étais arrivée un peu plus tôt à sa demande, occupée à maugréer sur les mauvais traitements infligés par Ledwine et d'autres gardiennes à plusieurs prisonnières qui nous étaient arrivées en bien piteux états. Pour toute réponse, je n'ai reçu qu'un hurlement rauque qui m'a fait renverser le lait que j'étais si reconnaissante de pouvoir siroter.

- Ça ne va pas ? ai-je demandé inquiète en me tournant vers Müller.

- Je t'ai fait venir pour soigner un furoncle mal placé. J'essaye d'avoir l'air crédible, a-t-il expliqué en criant une nouvelle fois.

- Tu devrais taper du poing sur le bureau, lui ai-je suggéré en me resservant un verre de lait.

Il a frappé deux fois de toutes ses forces en criant de plus belle.

- Bon, je crois qu'on a suffisamment donné le change, a-t-il déclaré en sortant son échiquier.

Nous jouions de temps en temps, lorsqu'il disposait d'assez de temps, ce qui n'allait pas manquer puisque l'appel du soir était en train d'avoir lieu et qu'une bonne partie de la Kommandantur semblait vouloir y assister ce soir.

- Il y a eu des tentatives d'évasion. Il va y avoir des pendaisons, m'a expliqué Müller quand je lui ai demandé pourquoi cet appel suscitait tant d'intérêt.

- Ce soir ?

- Ils veulent faire ça vite. Le Führer est dans une colère noire depuis l'attentat de Prague et je ne te parle même pas d'Himmler. Encore moins de mon oncle.

- Ton oncle ?

- Oui, mon oncle. Heinrich Müller.

Il avait répondu avec condescendance, comme si j'aurais dû savoir qui était Heinrich Müller.

- Je ne connais pas ton oncle, navrée, il n'était pas dans mes livres d'histoire, ai-je ironisé en avançant mon premier pion.

Je ne gagnais jamais. En même temps, je n'avais gagné qu'une seule fois aux échecs, contre mon père. Parce qu'il m'avait laissé faire même s'il avait toujours affirmé le contraire.

- C'est le chef de la Gestapo. Il est aussi Obergruppenführer. Il visait le poste d'Heydrich avec l'appui de celui-ci mais sa mort remet tout en question.

- C'est un haut rang Obergruppenführer ?

- Oui, un des plus hauts.

- Pourquoi tu es ici alors ? Pourquoi tu ne travailles pas avec ton oncle ou dans des bureaux plus... classieux en-dehors des camps ?

J'imaginais qu'il devait y avoir des endroits bien plus agréable que celui-ci. Il a grimacé comme si ma question l'avait piqué au vif.

- Disons que je dois ma rapide ascension à mon oncle et qu'elle est très mal vue.

- Par Hitler ?

- Non. Enfin je n'en sais rien. Par d'autres hauts gradés ça c'est certain. On m'a accordé le titre parce qu'on devait une faveur à mon oncle. Ensuite on m'a planqué ici où je ne pourrais déranger personne d'important.

- Tu aimerais travailler avec ces hommes ?

Il a haussé les épaules tandis que son cavalier volait ma tour.

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now