🐺 4. Fuite 🐺

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Le capitaine ne plaisantait pas. Je me demande même s'il lui arrive de faire de l'humour. Je l'imagine déjà dire « Négatif » d'un ton autoritaire.

Je soupire en contemplant mes supposés nouveaux appartements. Cela fait vingt minutes que je suis seule et j'ai déjà fait le tour de la chambre avec lit à baldaquin et couvre lit en satin bleu ciel, épais tapis, télé écran plat. La salle de bains est démente avec sa baignoire à pattes de lion. Toutefois, pas la peine de se leurrer : ceci est une cage dorée.

La porte d'entrée est verrouillée de l'extérieur : pas moyen de l'ouvrir malgré mes tentatives répétées. La fenêtre est condamnée. Je pose mon front sur le verre froid de la vitre. Il fait nuit et je ne vois rien, à part la crête des arbres et la demi-lune. La forêt à l'arrière du château s'étend aux pieds du bâtiment, deux étages plus bas. On raconte que la forêt est maudite et que si on y pénètre seul, on en meurt. Sauf si on fait partie de la famille royale. Comment sortir d'ici...

Par la lune d'hiver ! Cette histoire n'a ni queue ni tête. Premièrement, pourquoi ai-je reçu une invitation-convocation au palais ? Deuxièmement, à quoi rimait cet interrogatoire bizarre et cette prise de sang ? Troisièmement, où est Jon et pourquoi n'ai-je aucun souvenir après son agression ? Quatrièmement, pourquoi suis-je enfermée ici ? Et enfin, quand est-ce qu'on mange dans cette baraque ?

La dernière question n'est pas la plus importante, mais la plus urgente. Mon ventre gargouille à n'en plus finir. J'aurais dû prendre un des gâteaux au café, mais j'ai vraiment cru pouvoir rentrer chez moi rapidement, ou, si j'étais vraiment invitée au bal, pouvoir profiter du buffet. Danser est exclu, je n'ai ni robe ni cavalier (quoique ni l'un ni l'autre ne serait un obstacle, si j'avais envie d'entamer une macarena – hum... peut-être pas le style de la maison) ; voir le roi me semble impossible (et puis, je n'y tiens pas du tout) ; mais le buffet me semblait une option assez réjouissante. Surtout après mon régime pâtes-sans-sauce-ni-viande de ces dernières semaines.

Le coût de la vie a flambé avec l'inflation et les guerres à l'Est, mon salaire de serveuse et ma bourse dérisoire n'ont pas pu suivre l'envolée des prix. J'imagine une table immense avec des mets succulents, des gâteaux et même du chocolat. Oh par la déesse d'Argent ! Je rêve de chocolat ! Mince, j'en salive carrément !

STOP ! Stop, stop, stop ! On se concentre !
On. Se. Concentre !

J'inspire fort, j'essaie de me calmer. Quand je suis stressée, je pense toujours à la nourriture. J'en conclus que je suis très stressée. Et aussi, très fatiguée. Je frotte mon bras par réflexe, arrachant le petit pansement qu'on m'a posé après la prise de sang.

Un bruit de moteur et de pneus sur du gravier me tire de ma réflexion. Des phares éclairent le chemin et une partie du sous-bois. J'aperçois une énorme jeep militaire blindée s'arrêter et des soldats en descendre.

L'un d'eux soutient un jeune homme qui semble en piteux état. Sa tête dodeline sur l'épaule du militaire, ses pieds trainent à chaque pas, comme s'il était blessé ou à moitié endormi. 

Peut-être drogué ? régit aussitôt mon cerveau. 

Je déglutis lorsque son visage est brièvement éclairé par les phares de la jeep. Ses cheveux chocolat cachent une partie de son regard, mais je le reconnais sans peine.

Jon !

Ils ont capturé Jon.

Et il va mal.

Je tape instinctivement du plat de la main sur la vitre. Quelque chose en moi bout de l'intérieur : mon sang. Mon cœur ! Tout se met à pulser. Je commence à respirer difficilement.

The Wolves CourtWhere stories live. Discover now