🐺 10. Bal 🐺

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Il y a une table qui déborde de nourriture ! Alors, OK, je sais... je devrais être impressionnée par le plafond peint avec ses centaines d'angelots, les rideaux de velours et les fenêtres qui montent du sol au plafond et donnent sur les jardins merveilleux. Je devrais m'exstasier sur les robes des invitées, les tenues incroyables des gardes et même le lustre de cristal.

Éventuellement, j'aurai dû être nerveuse quand tout le monde s'est retourné pour me regarder entrer au bras de "Monsieur" et flanquée du capitaine de la garde, qui ne nous a pas lâchés d'une semelle depuis que nous sommes descendus de la voiture.

Je devrais même être stressée par toute cette aventure et, certes, je le suis. Mais on ne vit qu'une fois et ma mère m'a suffisamment répété qu'il fallait uniquement s'inquièter en temps voulu et qu'il fallait profiter de chaque instant. Sa philosophie en mode  carpe diem est certainement le fruit d'années de guerre et de privation de sa génération. J'ai très tôt appris à vivre ainsi.
Donc oui, je suis angoissée tout en essayant de relativiser.

Oui, les invités me fixent comme s'ils n'avaient jamais vu une humaine à la Cour (possible, je n'en sais rien), mais pour moi le plus hallucinant et le plus extraordinaire c'est ce buffet. Quelle opulence !

Par les temps qui courent, c'est même carrément indécent ! Je suis choquée : tous ces mets délicieux. Est-ce que ce sont des... fraises ? En plein mois de décembre !

- C'est quoi ce truc bizarre tout jaune avec des pics ? je murmure pour moi-même.
- Un ananas, répond Monsieur en buvant dans un verre noir.
- Un "nananas" ? Je n'en avais jamais vu !  Ça a quel goût ? Ça pousse comment ?

Mon cavalier sourit dans son verre, tandis que je lorgne sur un gâteau marron avec de la crème.

- Est-ce que... est-ce au chocolat ?
- On dirait que vous venez de tomber amoureuse ou de voir la plus belle chose de votre vie, il me sourit comme s'il se moquait de moi.
- Évidemment ! je montre de la paume de ma main l'énorme gâteau. Vous imaginez le prix de tout un gâteau et encore plus s'il est au chocolat ! Mon salaire entier y passerait.
- Vous n'êtes pas beaucoup payée à la journée.
- Mon salaire MENSUEL ! je le toise. Pardon de faire partie des pauvres !

J'attrape une assiette et y dépose une part de ce met de luxe.

- Vous êtes si amusante !

Je vais le tuer...

Ou me faire tuer par cette femme en rouge qui vient d'entrer dans la salle. Tout le monde lui fait la révérence en même temps et elle me fixe sans que sache comment réagir. Je courbe le dos et fléchis mes genoux pour imiter les autres, toutefois avec une assiette dans la main et mon voisin qui se marre sans bouger d'un pouce, ce n'est pas idéal.

Elle arrive, haltière et digne, suivie d'une petite troupe de femmes à sa suite.

- Lex, quelle surprise ! dit-elle à mon cavalier.

Ah ha, note pour moi-même : Monsieur a un prénom comme tout le monde et cette femme a le droit de ne pas l'appeler uniquement par son titre.

La nouvelle venue a imposé le silence dans la salle de bal. En dehors des musiciens, plus personne ne semble bouger ni même intervenir. Elle en impose carrément ! Sa robe rouge est parsemé de petits brillants (des... diamant ? Oh, par la Lune !), le corset met en valeur sa poitrine menue. Ses bras sous les manches faites d'un voile fin brodé de dentelle sont délicats. Le magenta de sa tenue est le même que celui de ses lèvres pulpeuses. Dans ses cheveux sombre un diadème d'onyx brille à la lumière des chandeliers. C'est la plus belle femme que j'aie jamais vue.

- Très jolie sœur, votre entrée illumine ma soirée.

C'est sa sœur ? Donc celle du roi aussi, logiquement.

- Quel flatteur, elle balaie de la main la compliment comme on balaie une mouche importune. Cesserez-vous un jour de m'appeler ainsi ?

- Vous êtes ma belle sœur, c'est une marque d'affection. La seule que je puisse me permettre sans que la jalousie de mon frère ne m'ôte la vie. Ou la tête... J'aimerais que cette dernière reste sur mes épaules.

- Le roi ne semble pas vouloir votre perte, voyons.

- Tant que je reste sur mes terres, je suppose que je suis son obligé.

- Nous le sommes tous, c'est le roi.

- Bien sûr, il lève son verre. À la santé de nos souverains. LONGUE VIE ! s'écrit-il.

Aussitôt tous les verres se lèvent et les invités répliquent aussitôt:

- Vive le roi !

Oh par toutes les étoiles ! Elle est la reine. Bravo, Rina ! T'es une lumière ! Tu es en face de la reine, la bouche pleine de gâteau au chocolat. La classe !

La souveraine détaille ma robe : celle qu'elle m'a prêtée ! Je me décompose en mâchant mon gâteau. Le goût est divin, je pourrai au moins mourir de joie avant de mourir de honte.

- Un choix de cavalière intéressant, murmure-t-elle en ignorant les vivas.

- Je me faisais la même réflexion, s'amuse Lex.

- Inattendu même, intervient une voix derrière elle.

Un visage que je reconnaîtrais entre mille apparaît alors au milieu des suivantes de la reine. Je me décompose à la vue de ses boucles brunes et de son sourire magnifique sur son front caramel. Dans une tenue de cuir noir et bordeau, flanqué de l'insigne des Raven (une silhouette de corbeau noir de profil dans un cercle rouge) sur l'épaulette,  un jeune homme me regarde calmement.

Jon !

Il y a peu, je le croyais blessé ou prisonnier des gardes royaux, traîné pas eux dans l'arrière cour de la bâtisse où on m'avait assignée à résidence.

Ses yeux vert émeraudes se posent sur moi, comme si j'étais une invitée normale. Comme s'il ne me connaissait pas.

Est-ce vraiment le même SDF à qui je donnais les restes de ma journée au café. Le même garçon qui partageait ses avis de lectures avec moi.

Ce même Jon... qui a maintenant l'air parfaitement intégré à la Cour des Loups.

J'ai l'impression d'avoir été menée en bateaux depuis le début... Le chocolat ne me laisse qu'un goût amer au fond de la gorge.

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À très vite pour la suite 😉

Et personne n'a deviné le conte jusqu'ici... c'est une revisite du Petit Chaperon Rouge 🐺❤️

The Wolves CourtWhere stories live. Discover now