Chapitre 9

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Remontrance
(POV scorpion)

J'ai troqué mon teeshirt contre une chemise blanche sous un long manteau de la même couleur.
Ce soir ils seront couverts de rouge.
Entouré d'une dizaine d'homme je marche dans les rues encore bondées de monde. Sur notre passage les gens s'écartent et murmurent. La lune est haut dans le ciel au milieu de quelques étoiles brillant faiblement, ses rayons argentés éclairent notre chemin aux côtés de la lueur orangée des lampadaires longeant les rues. Nous marchons en silence, mais l'ensemble de nos pas feutrés bruissent sur le sable dans un frottement discret et soulèvent quelques nuages de poussière. Je serre mes poings sur mes gants de cuir blancs et prend une grande inspiration. L'air froid de la nuit s'engouffre dans ma gorge jusqu'à mes poumons et une brise fraîche fait voler les mèches qui se sont échappées de mon chignon. Une pointe de joie et d'excitation se mêle à ma colère, des sentiments qui ne m'appartiennent pas.
Celle qu'on ne nomme pas.
Elle pense sans doute profiter de ma présence pour retirer sa puce, elle n'y arrivera pas, je m'en suis assuré.
Elle est capable de tout.
Les images de son retour me reviennent en mémoire. Elle est arrivée couverte de son propre sang, tenant à peine debout et amochée comme une bestiole échappée de l'abattoir. Je n'ai jamais rencontré personne avec si peu de considération pour sa propre vie. Elle aurait pu y rester, elle aurait pu rester le soir où elle a débarqué dans ma boîte et elle aurait du y rester cette nuit quand elle a planté son couteau dans mon œil. Ma cicatrice grésille face à ce souvenir.
Elle est dangereuse.
Elle est imprévisible et incontrôlable, impatiente et provocatrice. 
Elle aurait pu mourir aujourd'hui.
Une bourrasque amène sur mon visage des particules fines de poussière.
Elle est salement amochée, j'ai vu de mes yeux la blessure dans son dos,  tâche rouge sombre dans un océan de noir, un tableau macabre sur un dos aussi élégant. Un dos par ailleurs couvert de tatouages dont je n'aurais pas soupçonné l'existence, des dessins linéaires accompagnés chacun, sans exception, d'une phrase ou d'un nom. J'ai observé ce dos pendant de longues secondes. J'ai senti son malaise et sa vulnérabilité, pour une fois depuis que je la connais, elle a montré une faille et ça m'a intrigué, j'aurais voulu savoir.
Perdu dans mes pensées je ne remarque pas tout de suite que nous sommes devant l'entrée du marché noir ; une porte d'immeuble  simple en fer, légèrement rouillée par endroit mais ressemblant à toutes les autres. Un de mes hommes pousse une brique dans le mur à côté et un clique retenti. Il pousse la porte et m'invite à entrer. Je m'habitue très vite à l'obscurité, mon œil bionique passe en mode nuit et je me mets à descendre les escaliers en bétons, suivis de près par mes hommes. Nos pas résonnent lourdement contre les murs jusqu'à ce qu'on arrive en bas, face à une autre porte en fer. Je prends une grande inspiration, une odeur de moisi se mêle à celle de la pisse et de la cigarette. Je fronce le nez légèrement. Je déteste venir dans ce trou à rat nauséabond, il n'y a que des criminels de bas étages, avides et mal organisés, on y trouve de tout et c'est bien ça le problème, quand il y a tout il y a majoritairement le pire. Je soupire et fais signe à un de mes hommes d'ouvrir la porte.
Qu'on en finisse.
Un brouhaha joyeux nos accueille, puis un silence de plomb. Je ne prend pas la peine de regarder autour de moi, j'allume une cigarette et m'avance nonchalamment vers le coin des armes. Je tire sur ma cigarette, le silence est tel que j'entends le grésillement du feu dans le tabac. Je sens des centaines de regards suivre attentivement notre avancée, j'expire un bouffée de fumée grise. Je m'arrête à  un stand modeste, construit de bois et  ferraille, exposant une maigre panoplie de couteau de cuisine. Le vieil homme au comptoir me regarde avec de grands yeux effrayés, sa tête dodeline sur son cou maigre et le reste de son corps tremble légèrement.

- Benj

Je n'ai pas besoin de plus, son bras maigre se tend vers une direction que je m'empresse de suivre du regard. Un jeune homme noir se tient derrière un stand plus grand bricolé de la même façon. Je le dévisage en reprenant une bouffée de ma cigarette. Ses yeux s'écarquillent quand il me voit approcher doucement et il déglutit.

Scorpion blancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant