Chapitre 16

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Agglomération

POV Effaceuse

Le silence est pesant, c'en est effrayant. J'entends ma respiration saccadée et le bruit que font les menottes lorsque je bouge. Les bras me font mal à force de rester suspendu au dessus de ma tête et le bout de mes doigts s'est engourdi.

Tu es piégée.

Mes poignets me lancent, ils sont gonflés et égratignés contre le fer de mes liens. Je n'ai pas osé lever la tête pour regarder mais je suppose que ce n'est pas beau à voir. Je sens dans mon dos mes points de suture frotter douloureusement le tissus du drap sur lequel je suis couchée, je suis appuyée sur la plaie depuis trop longtemps.

Tu vas mourir.

Je secoue la tête pour chasser les pensées parasites qui me polluent l'esprit. Je ne vais pas mourir, pas tout de suite, il y a forcément quelque chose que je peux apporter au scorpion en échange de sa clémence.

Que peux tu donner à un homme qui a tout ?

Je peux retrouver sa femme, je peux retrouver n'importe qui en échange de ma liberté. « a quoi tu me sers si tu ne te souviens de rien ? » ses mots continuent de résonner dans ma tête comme une condamnation à mort. Ma gorge est sèche, ma langue pâteuse, ça doit faire des heures que j'ai rien avalé , des heures que personne n'est passé devant ma porte.

Il a préparé une longue agonie pour toi.

Je tente de changer de position mais mes poignets meurtris me lancent à chaque mouvement alors je reste immobile. Je lève les yeux vers le plafond, comme si j'allais croiser le regard d'une quelconque divinité pour me sortir de cette situation. Mais rien, sans surprise, seulement cette peinture crème, si propre que la situation en devient ironique. Menotté dans une chambre luxueuse.

Dans un autre contexte ça aurait pu être sympa.

Un léger sourire étire mes lèvres, mais il est éphémère, une migraine désastreuse me comprime le crâne au point de me faire voir floue. La vague dure de longue secondes, si longtemps que je ne retiens pas la plainte qui s'échappe de ma gorge. Je sens ma mémoire s'effriter, ma tentative de désactivation n'a rien arrangé, je suis encore plus instable que je ne l'étais déjà.

Tu es une oubliée

J'ai échappé longtemps à mon sort, j'ai vécu bien plus que je ne mérite et aujourd'hui j'arrive en fin de course. Je ne me souviens même plus de mon nom, et mes bras sont trop haut pour que je puisses voir l'index où je l'ai gravé. J'essaye de me rappeler des lettres, de la sonorité, je sais qu'il y a quatre sons, et qu'il y a un « a » mais rien d'autre. J'ai cette sensation de l'avoir au bout de la langue sans jamais pouvoir l'atteindre.

Tu vas mourir sans même savoir ton nom.

Je serre les dents et ferme les paupières si fort que me pupilles en font mal.

Mourir sans que personne se rappelle de toi.

- effaceuse ?

J'ouvre les yeux et les braquent sur l'encadrement de la porte, Abimola se tient là, droite comme un piquet, une ride lui barre le front. Elle entre et ferme soigneusement la porte avant de se diriger vers moi, elle tient dans ses mains un plateau sur lequel repose de l'eau et un plat de pâte au beurre. Mon estomac manifeste bruyamment son enthousiasme.

- comment tu te sens ?
- ça va, fais je en détournant la tête.

Elle pose le plateau sur le lit et s'assoit. Je sens d'ici ses muscles se crisper et la vapeur des pâtes me chatouille les narines. Je sens le regard d'Abimola sur moi, un regard plein de ce que je déteste : de la pitié.

Scorpion blancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant