Chapitre 11

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Seule dans la rue, devant le portail de la maison d'Émilien où la fête bat son plein, j'envoie un message à Loïs pour lui dire de venir me chercher. Après quelques minutes, je vois sa voiture apparaître au coin de la rue. Il se gare et descend. En voyant mes larmes, il m'ouvre ses bras et me serre contre lui. Il ne dit rien tandis que je mouille sa chemise propre de mes pleurs. Il doit penser que cette rencontre avec mon frère s'est mal déroulée. Mais c'est autre chose. Une autre histoire, que je ne suis pas prête à lui raconter.

Je ne suis même plus sûre qu'être en couple avec Loïs soit une bonne idée. Cette rencontre imprévue avec Raphaël, mon premier amour, a tout remis en question. Je n'aime pas Loïs comme j'aimais Raphaël.

Et, le problème...c'est que j'aime encore passionnément le père de ma fille.

Loïs ne mérite pas que je lui impose tous mes problèmes. Il faut que je sois certaine de l'aimer. Il ne mérite pas que je lui fasse de la peine ; il a été si gentil avec moi !

Loïs finit par réussir à me faire monter en voiture. Il m'attache en m'adressant un sourire rempli d'inquiétude et de tendresse mêlées.

Lorsqu'il tente de m'embrasser, je le repousse le plus doucement possible. Il fronce légèrement les sourcils, mais ne dit toujours rien.

Il s'attache à son tour et démarre. Je regarde dans le rétroviseur la demeure d'Émilien s'éloigner petit à petit, les lumières se fondant avec celles de la ville.

Lorsqu'il se gare devant mon immeuble, je me rends compte que nous n'avons pas décroché un mot de tout le trajet.

Je détache ma ceinture de sécurité et me penche pour ouvrir la portière.

- Eh bien...merci. On se voit lundi, au boulot !

J'appuie sur la poignée, mais la portière ne s'ouvre pas. Il a mis la sécurité.

Je me tourne vers lui et le scrute.

- Laisse-moi sortir, Loïs.

Il ne me répond pas.

- S'il te plaît !

Mon cœur panique, étant claustrophobe depuis que ma chère mère m'a enfermée dans la cave pendant plusieurs jours, parce que j'avais été, selon elle, insolente. Je suis au bord des larmes.

- Pas avant que tu ne m'aies expliqué ce qui t'a mise dans cet état, réplique-t-il enfin.

Je ne dis rien. En même temps, que pourrai-je bien dire ? Loïs, je viens de recroiser le père de ma fille et je l'aime plus que je ne t'aimerai jamais, donc on peut tirer un trait sur nous ?

- Merde, Ophélia ! crie-t-il en tapant sur le volant. Je croyais qu'on était ensemble !

Ses cris font trembler mes mains. Il continue de parler, encore plus fort, mais je ne l'écoute plus, tétanisée. Ses hurlements m'en rappellent d'autres, tellement anciens...

Non, non, non.

Je me prends la tête entre les mains et me balance d'avant en arrière, comme lorsque j'étais enfant, et que j'avais peur.

"Monstre."

"Tu ne mérites pas de vivre."

"Estime-toi heureuse que je ne t'ai pas rejetée à la naissance."

Maman est morte, portant elle continue de me hanter chaque jour de ma vie.

C'en est trop. Les larmes coulent, et je hurle, les yeux fermés, assaillie par d'affreuses images du passé.

Quelqu'un me secoue l'épaule, et je parviens à ouvrir les yeux, me raccrochant ainsi au présent.

- Ophélia ?

Le visage de Loïs devant le mien est flou.

- De...de l'air, articulé-je.

Il sort de la voiture et ouvre ma portière. La légère brise fait danser mes cheveux roux comme des feuilles en automne. L'air me fait du bien. Je respire enfin.

Loïs s'agenouille devant moi, le regard soucieux. La dernière fois que j'ai vu quelqu'un dans cette position devant moi, il s'agissait de Raphaël qui me demandait en mariage.

- Dis-moi ce qui se passe, Ophélia. Je suis aussi là pour ça.

Sa voix est douce. Mais je pense à Raphaël. J'aimerais que ce soit lui qui soit là. C'était toujours lui qui le rassurait quand j'avais des crises. Il savait toujours quoi faire.

- Ophélia. Parle-moi...

La voix de Loïs me ramène sur Terre. Je secoue brutalement la tête, les yeux mouillés. Je culpabilise déjà pour ce que je m'apprête à faire. C'est tellement cruel... Mais je ne veux pas que Loïs s'imagine une future vie ensemble, alors que je pense chaque jour à un autre homme. Je ne peux pas lui faire ça.

Alors, je prends mon courage à deux mains et lève les yeux vers lui.

- Loïs ? appelé-je doucement, la voix rendue rauque par les cris.

Je déglutis. Il me fixe sans rien dire. Il semble attendre, comme s'il avait compris.

- On ne peut pas continuer ensemble, Loïs.

Il pose ses mains sur le toit de la voiture, au-dessus de moi. Je vois dans ses yeux combien il est blessé par mes paroles. Mais qui ne le serait pas, à sa place ? J'ai déjà vécu ça, le rejet. Mais j'ai aussi subi l'attente, et je ne veux pas que Loïs m'attende. Je veux qu'il profite de ce que la vie peut encore lui donner. Je ne suis pas prête pour une relation avec un autre homme que Raphaël. Et je ne peux pas que Loïs souffre en attendant que je l'aime d'un amour fort et sincère, car je sais que ça n'arrivera jamais.

- Pourquoi ?

J'expire.

- Je ne veux pas te faire de mal.

Il m'observe attentivement, m'analyse.

- Pourtant tu m'en fais en ce moment-même.

Ma gorge se noue.

- Je le sais, Loïs, et j'en suis vraiment désolée... Mais je ne veux pas t'en faire plus. Tu mérites bien mieux que moi, ajouté-je en plongeant mes yeux dans les siens.

- Tu ne peux pas me faire ça ! Donne-moi ta raison ! Tu as rencontré un autre homme, c'est ça ?

Pas vraiment. Je ne sais pas comment lui dire.

- J'ai recroisé quelqu'un, murmuré-je.

- Donc tu me quittes pour lui.

- Non ! Je te quitte parce que je ne veux pas que tu souffres à cause de moi.

Il rit nerveusement puis éclate, en tapant la carrosserie de sa voiture avec ses poings.

- Tu ne peux pas me faire ça, Ophélia ! répète-t-il.

Mon cœur se brise. Je ne prononce pas un mot. Loïs finit par s'écarter et regarder la rue illuminée par les lampadaires. Il essaye de se calmer.

Alors je me lève du siège et claque la portière. Le bruit résonne dans le silence immobile de la nuit.

Je m'approche à petits pas de Loïs, qui me tourne le dos.

- Je ne t'oublierai pas, Loïs. Tu es l'un des rares hommes qui a réussi à gagner ma confiance. Je te quitte parce que je ne veux pas te mentir. Je te souhaite de trouver l'amour, le vrai, avec une personne bien qui s'aura t'aimer en retour, t'aimer comme tu le mérites.

Une larme roule sur ma joue. Il ne se retourne pas. Alors que je m'apprête à franchir la porte de l'immeuble, je l'entends murmurer :

- Je ne t'oublierai pas non plus.

Le cœur serré, je m'engouffre dans la résidence, ce que je pensai être de l'amour coincé derrière la porte, vestige d'un doux rêve envolé.

Only One LifeWhere stories live. Discover now