Chapitre 24

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Les souvenirs que j'ai tentés d'oublier surgissent soudain dans ma tête. Je sais qu'ils étaient seulement tapis sous la surface. Je sais qu'ils ne m'ont jamais quittés, qu'ils sont toujours restés tout près.

Même après tant d'années, mes souvenirs continuent de me torturer.

Soudain, autour de moi, il n'y a plus de salon. Il n'y a que du sang, du sang partout... Sur les murs, sur le sol, et surtout, sur mes mains, qui coule le long de mes doigts...

- ...Lia ? Tante Ophélia ?

La voix inquiète de Bianca me parvient finalement. Je reprend ses esprit, et la pièce revient. Je regarde mes mains. Il n'y a pas de sang sur celles-ci. Malgré ce constat, je ne peux m'empêcher de vouloir les nettoyer. Me nettoyer toute entière. Je suis sale, si sale...

- Tout va bien ?

- Parfaitement. Je suis simplement très fatiguée. Je vais attendre ta mère, Bianca. Tu peux aller te coucher...

- Et si elle ne rentre pas ? me demande-t-elle d'une petite voix.

- Si elle ne rentre pas, j'irai voir la police. Je ferai ce qu'il faut pour la retrouver.

- Même si tu ne l'aimes pas ?

- Même si je ne l'aime pas. Je le ferai pour toi et Diego. Tous les enfants méritent d'avoir une mère...

- Mais maman n'est pas gentille avec Diego. Elle le trouve faible. Elle...ne l'aime pas. Et peut-être... qu'elle ne m'aime pas non plus. J'ai vu comment Julia et toi vous discutiez, comment tu la défends, comment tu... l'aimes. Maman n'est pas pareille avec nous. Même si elle a l'air de me préférer à Diego.

Je reste silencieuse. Que puis-je bien lui répondre ?

Puis elle se lève.

- Désolée te t'embêter. J'aurai voulu qu'on s'entende bien des le début, que je m'entende bien avec Diego, et aussi Julia, mais je ne veux pas décevoir maman, parce moi, je l'aime.

J'acquiesce.

- Merci de m'avoir montré que tu étais une bonne personne, Bianca. Je ne t'en veux pas d'agir comme ça pour faire plaisir à ta mère. J'ai fait la même chose quand j'étais petite, même si c'était très différent...

Un silence plane entre nous.

- Des fois, j'aurais préféré être orpheline, murmure-t-elle doucement.

- Pourquoi ?

- Mon père...je ne sais pas qui il est, je ne l'ai jamais rencontré. Je sais que maman buvait beaucoup, avant. Peut-être qu'elle ne sait pas qui est mon père...

- Je pense qu'elle le sait, Bianca. Peut-être que c'est trop douloureux pour elle d'en parler, tout simplement.

- Je ne sais pas. Je n'ose pas lui en parler.

- Tu n'as pas grand-chose à perdre.

Ses yeux lancent des flammes alors qu'elle me regarde.

- Si, justement. J'ai tout à perdre : le peu d'amour qu'elle a envers moi. Maintenant, si tu veux bien, je vais aller me coucher, conclut-elle sèchement, avant que je ne puisse dire quoi que ce soit.

Et elle disparait, me laissant gênée dans le salon silencieux. Je n'ai jamais su parler aux gens, parce que personne n'a jamais su me parler quand j'étais enfant.

Je me lève pour aller à la fenêtre. Tout le monde finit par me trahir, un jour ou l'autre... Peut-être que, plus tard, Julia se détournera de moi. Peut-être qu'elle s'en ira, sans regarder derrière elle, parce qu'elle m'en voudra de lui avoir fait vivre une vie comme celle-ci.

J'enregistre le numéro de Raphaël dans mon téléphone pour m'occuper l'esprit. Sauf que ça ne fait que me ramener à mes problèmes.

Pourquoi a-t-il eu cette réaction ? Qu'ai-je donc dit de mal, ou fait de mal ?

Je me prends la tête entre les mains. Il faut que je lui envoie un message, pour qu'il enregistre mon numéro dans son téléphone à lui. Mais j'ai peur...

Il faut bien que je le fasse.

J'expire, les doigts tremblants au-dessus du clavier de mon écran. Puis j'écris.

Raphaël, c'est Ophélia. Voici mon numéro. Je supprimerai le tien quand cette histoire sera résolue. A bientôt.

Il me répond presque aussitôt.

Très bien.

Comment puis-je interpréter ce "très bien" ? Ai-je une fois encore fait quelque chose de mal ? Je relis mon message. Peut-être que j'ai été un peu trop directe. Mais je ne veux pas que nous gardions contact. Ce serait trop difficile avec Julia et puis...il a sûrement des obligation ailleurs. Peut-être qu'il est intéressé par une femme. Rien que l'idée qu'il soit avec une autre un jour me dégoûte. Mais bon. Il a eu des années pour se retrouver quelqu'un d'autre. Six ans, ce n'est pas rien !

Il a le droit de reconstruire sa vie. Moi, je ne le pourrai jamais avec quelqu'un d'autre. C'est avec Loïs que j'ai compris.

Je n'ai plus confiance dans les hommes. Seul Raphaël avait ce petit quelque chose qui faisait qu'avec lui, je n'avais pas peur.

Mais après ce que j'ai vécu il y a des années, je...

Je secoue la tête et m'enfonce les ongles dans le crâne. Je ne dois surtout pas penser au passé. Pas maintenant. Pas alors que je suis seule avec des enfants. Je ne peux pas me permettre de perdre face à des souvenirs qui me hantent.

Je marche dans la pièce. Malgré moi, les images refont surface. Des flashs. C'est sombre. Je me souviens de l'odeur du sang. C'était poisseux sur mes mains. Et partout, partout... Sur le sol, sur mes vêtements, sur moi, sur lui...

Je déglutis. J'avais presque réussi à m'en défaire pendant la journée. IL faut que je continue ! Je ne peux pas laisser mes cauchemars prendre le dessus. Parce que je sais que sinon, je ne pourrai rien faire. Je ne pourrai plus me contrôler. Et si je ne me contrôle plus... Je ne veux pas penser à ce qui pourrait arriver.

En sueur, je me roule en boule dans un coin, le plus loin possible du couloir qui mène jusqu'à la chambre des enfants. Je ne dois surtout pas les voir, ou aller là-bas. Pas maintenant. C'est trop dangereux...

Je me rends compte que je tremble, et que des larmes coulent sur mes joues. Je les essuie rageusement du revers de la main. Je suis si faible ! J'ai envie d'appeler Raphaël. Lui, il est toujours parvenu à me calmer. En toutes circonstances. Mais je ne suis pas en état de bouger. Et il ne faut absolument pas qu'il voit Julia. S'il voit ses yeux...il comprendra que je lui ai menti. Je suis si égoïste ! Je veux que Raphaël soit toujours là pour me protéger, mais en même temps, je veux éloigner Julia de lui pour la garder pour moi seule ! Je ne veux pas de garde partagée ! Je perdrai la seule chose qui m'ancre dans ce monde : ma fille chérie !

Je me masse le front et tente de respirer doucement, afin de calmer les soubresauts qui agitent mes épaules.

Je colle mon front à mes genoux. Je voudrai tant tout oublier de mon passé...



Only One LifeWhere stories live. Discover now