15. « Je veux mon gage ! »

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Lorsque les autres adolescents revinrent de leur veillée, Kilian et Lucas dormaient déjà depuis un long moment. Le garçon aux yeux verts avait justifié son besoin de se reposer par son désir de bouder au mieux le lendemain. Les gens n'imaginaient pas à quel point faire la tronche à son petit brun pouvait être fatigant, voire éreintant. Cela demandait de l'énergie et des ressources insoupçonnées. Et pour Kilian qui adorait déjà dormir en temps normal et qui, au moment de plonger dans l'adolescence, s'était découvert une passion pour les espèces animales pratiquant l'hibernation, l'appel du lit était bien plus puissant que le chant du coq. Au moins, se mettre à pioncer avant le retour d'Aaron dans la chambre, c'était la certitude de ne pas croiser son regard et donc de ne pas partir dans une crise de larmes non assumée. Même si toute la nuit, il ne rêva que de sa petite panthère, des belles histoires qu'ils avaient vécues ensemble et de celles encore plus merveilleuses qu'il espérait bien vivre un jour.

Du coup, ayant roupillé comme un loir, Kilian fut le premier réveillé par l'aube naissante. Aaron et les autres adolescents dormaient encore dans la pénombre ; le soleil se levait à peine ; une lueur légère semblait poindre derrière les volets. Les grains de lumière étaient suffisamment nombreux à voleter dans la pièce pour que le blondinet puisse poser son regard sur la tête du garçon qu'il aimait. L'observant, il admirait la finesse de ses lèvres qui semblaient dessinées au crayon et la clarté de son visage opalin. En passant discrètement sa main dans ses cheveux, il pouvait sentir leur douceur. En un an, Aaron avait bien poussé et il dépassait à présent le mètre soixante-dix, mais il n'avait pas tant changé que ça. Il était toujours cet insupportable gamin qui pensait que la vie était une partie d'échecs et qui jouait avec tellement de coups d'avance qu'il en devenait impossible à suivre. Kilian avait beau essayer de lui en vouloir pour ces vacances qui étaient loin d'être aussi parfaites que l'idée qu'il s'en était faite, il n'y arrivait pas. Au fond de lui, il savait très bien pourquoi son amoureux faisait tout ça. Avoir conscience qu'Aaron ne souhaitait que son bonheur en se comportant comme le dernier des tartufes ne l'aidait pas pour autant à se sentir bien. Alors, discrètement, il lui déposa un léger bisou sur le front et chuchota une petite phrase que nul ne pouvait entendre, avant de sortir du bungalow en direction du réfectoire.

« Pardon chouchou, mais j'vais encore devoir te faire la tronche aujourd'hui... »

Tenir cette promesse à lui-même fut, pour le blondin, plutôt facile le matin. Il avait un match de ping-pong de prévu avec Arthur. Cela faisait une semaine qu'il était à Sport & Fun. Un nouveau dimanche commençait et, comme tous les dimanches, c'était journée libre pour que les jeunes puissent profiter au maximum des activités du camp et les accompagnateurs se reposer un peu entre deux sorties. Que de temps gâché, pensa l'adolescent aux cheveux clairs après un smash que son adversaire n'arriva pas à rattraper. À la réflexion, vouloir renouveler ses aventures de l'année précédente avait été une véritable fausse bonne idée. Kilian avait espéré vivre un amour fou avec Aaron, il se retrouvait en train de lui mener une guerre des plus hypocrites. Mentir aux autres à propos de la vraie teneur de leur relation avait été drôle le premier jour. Supporter leur méchanceté et leur crétinerie dès le deuxième, beaucoup moins. Et entendre le rouquin de service le réconforter gauchement en lui expliquant que, s'il aimait vraiment Alia, il pouvait la reconquérir, c'était tout bonnement insupportable. Même si elle était quand même tout à fait à son gout.

Ce qu'il appréciait chez elle, ce n'était pas tant sa grâce, son allure ou son sourire que sa personnalité, si complexe et profonde pour une adolescente de son âge. Il le savait. Comme lui, elle souffrait et avait souffert à cause de l'intolérance de ses camarades et, sans doute, de celle de sa propre famille. Kilian pouvait sentir ces choses-là. Elle était pleine de valeurs et de contradictions, comme vouloir à tout prix vivre dans la modernité sans pour autant supporter qu'on remette en cause le passé. Elle semblait détester que les garçons s'aiment entre eux juste parce qu'elle voulait qu'on l'aime, elle. Kilian se retrouvait dans certains de ses doutes, dans ses remarques et dans ses questionnements, à cela près que lui, il avait dépassé tout ça. Surtout parce que la haine et la bêtise des autres l'y avaient poussé.

Ce qu'il voulaitOnde histórias criam vida. Descubra agora