62. Ciguë

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« Il va s'en sortir, vraiment ? »

Même si le docteur avait été catégorique, Aaron avait encore du mal à réaliser. Dans le long et froid couloir de la clinique, il respira profondément avant de tomber sur une chaise. À ses côtés, les parents de Justin se tenaient dans la main. Ils ne comprenaient pas. Sur leur visage, ce n'était pas la culpabilité qui se dessinait, c'était quelque chose d'encore pire, faite d'incompréhension, de rage et de désespoir. Leur bébé, leur fils unique et choyé, leur petit garçon... Plutôt que de profiter de leurs baisers, il avait préféré se tailler les veines. Philippe et Denise n'avaient rien vu venir, bien au contraire. Le matin même, tout semblait aller pour le mieux, comme si l'esprit de Noël était descendu dans leur salon pour régler tous leurs problèmes d'un seul coup, comme si Santa Claus avait déposé la quiétude au pied de leur sapin. C'était en réalité la mort, sa cape noire et sa faux qui s'étaient engouffrés par leur cheminé pour leur arracher ce qu'ils avaient de plus précieux. Ils étaient perdus, et même la petite lumière qui clignotait au fond du couloir ne leur permettait pas de retrouver la raison. Ils ne comprenaient pas.

« Pourquoi il a fait ça ? », demanda Philippe au petit brun qui se tenait à ses côtés. Celui-là même qui, en défonçant la porte de leur salle de bain, avait arraché Justin à la barque de Charon.

« Je ne sais pas. », répondit simplement l'adolescent en se tenant la tête entre les mains.

Il savait, mais il ne pouvait le dire. À quoi cela aurait-il bien pu servir ? Ce qui était fait était fait. Rien ne l'autorisait à expliquer le geste de son camarade, rien ne lui en donnait envie. La vérité était trop insoutenable pour être racontée. La seule chose qui importait au lycéen aux cheveux noirs n'était pas le passé mais le futur. Si Justin devait vivre à cause de lui, à cause de son choix égoïste de l'empêcher de mourir, alors il se retrouvait face à deux obligations. Se repentir de son crime et venger son chaton. Il ne l'abandonnerait plus. Il tiendrait sa promesse, celle de le protéger. Sans même s'en rendre compte, il murmura le nom de l'homme à abattre, de l'esprit vil à l'origine de tout ce gâchis, du monstre qui avait défiguré l'âme du plus innocent de tous les adolescents... « Botteron » La mâchoire lourde et les dents compactées les unes contre les autres, Aaron n'avait plus qu'une seule idée en tête. Couper la tête de l'hydre et, avant qu'elle ne repousse, cautériser la plaie avec du magma. Et en faire de même avec l'épée de chair dont l'ignoble s'était servi pour blesser Justin. C'était à lui qu'incombait cette tâche, et à personne d'autre.

« Comment as-tu pu savoir qu'il allait avoir ce geste ? », insista le père, enragé, en secouant le brunet au niveau des épaules.

D'un coup violent, ce dernier se leva, se dégagea puis plaqua son front contre le mur. C'était étrange à quel point une peinture opaline pouvait prendre une teinte plus sombre dès que des larmes s'écoulaient dessus. Il ne pouvait toujours pas répondre. Alors, tombant à genoux, il hurla à la mort. Plusieurs sentiments, tels le désespoir face aux souffrances de Justin, la honte de l'avoir abandonné et le soulagement de le savoir en vie, se mêlèrent dans ses yeux et dans sa gorge. Son visage le brulait. La culpabilité l'emportait. Après plusieurs minutes d'un spectacle déplorable dont les internes ne manquèrent pas une seule goute, le jeune brun se calma puis regarda, avec un sourire désolé, un père et une mère désespérée.

« Il me l'a écrit dans sa lettre. C'est pour ça que je suis revenu. Et c'est pour ça que je ne partirai plus. Je vous en supplie, laissez-moi l'aider. Je suis le seul qui peut le sauver... S'il vous plait... Faites-moi confiance... »

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now