81. P'tit pédé au grand cœur

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« Tu sais, c'est pas parce que je t'ai plaquée que t'es obligée de te venger sur les crêpes Nutella-banane-chantilly. Elles t'ont rien fait, les pauvres ! Nan mais arrête de te goinfrer comme ça, après, ça te fera un meilleur cul qu'le mien, ça s'rait pas juste ! Laisse-moi goûter plutôt, c'est bientôt mon anniv ! »

Les doux rayons du soleil de mai réchauffaient légèrement la peau de Kilian. Depuis la reprise des cours et le retour d'Aaron dans ses pénates, le cours normal de la vie avait repris au lycée Voltaire. Avec un passage presque acquis en S grâce à d'excellentes notes en math, le blondinet pouvait profiter de ses week-ends et du beau temps définitivement de retour sur la région.

Le lionceau ne réclamait plus sa panthère, il l'attendait juste. Il savait qu'il la retrouverait bientôt. En attendant, il lui envoyait des SMS mignons et lui faisait de folles déclarations d'amour sur Skype. Et quand – parce qu'il restait un indécrottable petit brun monstrueux, méchant et pervers – Aaron lui donnait envie de bouder, Kilian demandait un tête à tête en visio-conférence avec Mistral, son seul vrai copain. Lui, au moins, il ne le décevait jamais et il le comprenait parfaitement. Après tout, ils adoraient le même humain. Heureux de voir s'agiter le petit blond de son maitre, le chien s'empressait de lécher l'écran en secouant la queue, sans bien comprendre pourquoi il ne recevait pas de caresses en retour.

Les jours et les semaines passèrent à une vitesse folle. Sans prévenir Gérard, les deux adolescents déposèrent un dossier au nom d'Aaron pour son admission en première à Voltaire, dont la pièce majeure fut une lettre de recommandation de la part du directeur de l'ensemble scolaire Danceny. La prose de Monsieur Bourgneux était sincère. Les résultats de son élève étaient brillants et il regretterait – un peu – son départ. Par pudeur, il se retint d'indiquer à son homologue destinataire de la missive que les bouteilles de champagne pour fêter ce transfert éventuel étaient déjà au frais. Pour Aaron, ne restait que le plus dur : mettre un père devant le fait accompli et prier tous les dieux du ciel pour qu'il n'impose pas un retour en arrière. Sans grand succès, le brunet tâta le terrain, ce qui lui donna immédiatement envie de reculer. Il voulait affronter Gérard, mais il attendait encore et toujours le bon moment qui ne venait pas. Rieur, son amoureux essaya de le rassurer au téléphone en lui disant qu'il l'attendrait toute la vie s'il le fallait, mais que s'il voulait que la vie en question ne trouve pas une fin prématurée à cause du désespoir, il avait intérêt à se grouiller.

Chez Kilian, tout se passait plutôt bien et François multipliait les efforts pour apparaitre comme un père exemplaire. Même sa mère semblait prête à changer. Un soir, l'adolescent accepta de diner en tête à tête avec elle. Si, au cours du repas, seules des généralités furent échangées, le côté cordial de la conversation le rassura.

Pour la première fois depuis des mois, il semblait voir le bout du tunnel. Et même si Aaron lui manquait, ce n'était pas grave. Penser au bonheur que représenteraient leurs prochaines retrouvailles l'aidait à tenir. Cette fois, il pouvait enfin y croire. Et puis, il pouvait aussi compter sur ses proches et amis. Cédric pris par ses révisions et Martin par sa petite copine, le blondinet se tourna naturellement vers ceux qui restaient et en qui il avait le plus confiance.

Même s'il ne l'embrassait plus sur les lèvres et ne prétendait plus être son copain, Kilian continua ses sorties avec Alia, et ce d'une manière étrangement naturelle. Dès la fin des vacances d'avril et le départ d'Aaron, l'adolescente avait sonné à sa porte pour lui proposer une après-midi shopping entre copines. Le lycéen aux yeux verts avait râlé et répété qu'il était un garçon, G-A-R-Ç-O-N, et qu'il en avait même la preuve au fond du slip. Mais après avoir emprunté de l'argent dans le portefeuille de François, il avait finalement accepté la proposition. Un certain t-shirt bleu ciel aux motifs roses et un short rose aux motifs bleu ciel lui faisaient de l'œil depuis trop longtemps dans sa boutique préférée pour qu'il ne saute pas sur l'occasion de les essayer et de les acheter. Au final, quand le garçon n'était pas à l'escrime pour préparer ses prochaines compétitions, il passait la majorité de son temps libre avec sa camarade à discuter de tout et de rien sans la moindre ambigüité. Pour empêcher Alia d'avoir des idées crétines et de s'imaginer qu'elle eut toujours ses chances, le blondinet lui raconta toutes les choses infamantes et délicieuses qu'Aaron lui avait faites, du jour de leur rencontre jusqu'aux dernières vacances qui lui brulaient encore la peau. Amusée et faussement dégoutée, la jouvencelle traita son camarade de « putain de grosse gourgandine obsédée », ce à quoi Kilian répondit que ce n'était même pas vrai, que c'était Aaron qui était obsédé, que lui, il était juste la victime consentante de sa perversion, et qu'en plus, il était plutôt mince, donc le terme grosse n'avait pas lieu d'être, et que, de toute manière, il s'en foutait, il ne savait même pas ce que voulait dire gourgandine, mais que si ça consistait à faire des câlins à son mec et à choquer les associations de défenses de la morale et des bonnes mœurs du dix-neuvième siècle, alors il était prêt à revendiquer le terme. D'abord.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now