75. Poissons entre parenthèses

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L'audience suivante fut fixée au même jour, deux semaines plus tard. Le temps de réflexion demandé par Kilian n'était qu'un des nombreux éléments qui avaient poussé le juge Guyot à ajourner toute décision. L'histoire de ce couple où le meilleur ami du père se tapait la femme et était le réel géniteur d'un petit blondinet stressé et perdu n'était pas des plus communes. Alors que toute la famille venait de quitter l'office et alors qu'Hervé, l'assistant, ramassait une énième fois plusieurs papiers jonchés sur le sol, la juge ne put s'empêcher d'y aller de son petit commentaire.

« Pauvre gosse... il a dû vraiment déguster lui... Manquerait plus qu'il soit homo, tiens... »

Tout de suite après, Kilian s'accrocha au bras de Cédric et regarda son père rentrer seul de son côté. Alors que ce dernier s'était approché pour l'embrasser, le blondinet l'avait très violement rejeté. Il était hors de question qu'ils se parlent avant qu'il n'ait pris sa décision. Personne n'avait le droit de l'influencer, et certainement pas les principaux intéressés de ce bordel qu'était devenu sa vie. Et quand son ainé lui demanda comment il prévoyait de trancher, la réponse fusa immédiatement.

« J'y penserai quand j'y penserai ! Là, faut que tu me payes une glace, ça urge ! »

Faim désespérée ou étrange façon de vouloir en finir avec la vie et les emmerdes ? Toujours est-il que Cédric ne sut jamais si c'était le mélange cassis-caramel-pistache, les fruits en quantité industrielle ou bien la tonne de crème chantilly surplombant la coupe qui provoqua la monstrueuse crise de foie qui cloua son cadet au lit toute la soirée. La vérité était sans doute ailleurs, au fin fond d'un sujet devenu tabou.

Avant même que Kilian ne pût s'en rendre compte, il s'était passé une semaine qui venait clore le mois de mars et pendant laquelle il refusa de penser aux choix qu'il devait faire. Comme s'il cherchait continuellement à fuir, il préféra se fixer d'autres objectifs, dont celui de frapper un grand coup et de démontrer à tous qu'à défaut d'être le meilleur élève de la classe, il en était le plus blond, et donc du même coup le plus gamin. Au primaire, il se réjouissait toujours quand arrivait avril, surtout le premier jours du mois. Et puis, au collège, sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi, il avait voulu se comporter comme un grand et s'était mis à mépriser sa date préférée. Heureusement, ce changement d'attitude ne concernait qu'un jour bien précis dans l'année. Les trois cent soixante-quatre autres du calendrier qui, eux, ne furent jamais vraiment privés de leurs kilianiaiseries quotidiennes.

Mais là, c'était différent. Ne serait-ce que pour quelques heures, il voulait redevenir un véritable gosse et être traité comme tel, sans horrible décision à prendre ni problème à régler. C'était sa parenthèse.

Quand, le mercredi matin, il arriva en cours avec tous ses préparatifs, il se rendit compte qu'il n'était pas le seul adolescent à qui il semblait manquer une case. Armé de cotillons et de serpentins, Gabriel n'avait pas attendu que la cloche sonne pour inviter tous ses camarades à le suivre dans sa folie. Sa volonté était des plus simples : faire hurler les profs et surtout Musquet, bien incapable d'obtenir le calme.

Entre deux mimiques et trois rires, le châtain plaça la Chine en Amérique du sud en géographie, répondit en elfique aux questions de sa prof d'anglais puis lut dans les couloirs une lettre adressée à son CPE dans laquelle il s'excusait pour toutes ses bêtises depuis le début de l'année et lui déclamait son amour. D'avis d'élèves, c'était sans doute la seconde blague la plus drôle et populaire de toute la journée, derrière celle préparée de concert par Kilian et Alia. Gabriel lui-même reconnut très rapidement sa défaite. Ce que son adorable camarade venait de faire méritait une fresque géante à sa gloire sur tous les murs du lycée. Il se proposa même de la réaliser séance tenante, mais au final, devant la fin de non-recevoir adressée par le CPE, l'artiste en herbe dut revoir ses ambitions à la baisse et se contenta d'un simple croquis dans son éternel carnet.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now