Quand il m'a emmenée au travail (2/2)

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Je me faufilai par la porte entre-ouverte du bureau dans la plus grande discrétion, tel un cambrioleur averti. Le long couloir reliant les pièces du quatre-vingt-sixième étage avait un air de clinique, marqué en son centre de plusieurs traits droits fluorescents dont chacun empruntaient une direction différente.

Marchant à pas de loup et portant la chaîne de métal pour l'empêcher de claquer, je suivis la ligne principale qui s'engouffrait tout droit au fond du couloir. Bien que ma conscience tenta plusieurs fois de refouler cette curiosité insolente avec de bonnes raisons, je l'ignorai en laissant libre court à mon désir d'exploration. Je voulais comprendre à tout prix ce qui occupait le Maître, depuis toutes ces années.

Passant à coté d'une porte, puis d'une autre, je perçus des bribes de voix qui s'échappaient des salles closes, tout le monde semblant très occupé.

- Que peuvent-ils bien faire ? maugréai-je, envieuse envers tous ces gens à l'objectif bien défini.

Raide à l'idée qu'un Maître ouvre la porte d'une des salles et m'aperçoive, je m'imaginais déjà mentir en racontant que je cherchais des toilettes pour chien. Quelle idée de m'aventurer seule dans un bâtiment aussi vaste! Les chances que je me perde, ou pire, que je tombe nez à nez avec un vampire étaient totales. Pourquoi donc insistais-je ? Toutes ces années d'ennui m'avaient-elles fait perdre la raison ?

Une silhouette sortit soudainement de l'ombre, au bout du couloir. Elle s'approcha lentement. Agissant à l'aveuglette sous le coup de l'adrénaline, j'empruntai l'escalier le plus proche pour ne pas croiser son chemin. Je retins mon souffle en descendant les marches avec hâte, faisant preuve d'efforts considérables pour cacher mon stress.

- Au pire, je me ferai punir, me répétai-je plusieurs fois pour de me donner du courage. Je ne me ferais pas tuer pour une simple balade.

Sans me démonter, je posai le pied sur le sol plastique de l'étage quatre-vingt-cinq. Balayant du regard le grand espace inconnu, je compris assez vite qu'il s'agissait d'une aire de repos. De nombreuses silhouettes au pourtour brillant allaient et venaient de chaque cotés de la salle. Certaines se posaient sur un banc, d'autres pénétraient dans une enseigne identifiable par l'image iconique et luminescente d'une tasse de café.

Je voulus garder le dos droit et la tête haute pour me fondre dans la masse, mais mon corps fatigué commençait tout juste à ressentir les effets de la prise de sang. Réalisant que personne ne prêtait attention à ma présence, je décidai alors de m'approcher du café.

J'avançais en zigzagant, chaque nouveau pas semblant un peu plus déphasé que le précédent. Des gens invisibles me bousculaient, à ma gauche, à ma droite; certains s'exclamaient « Eh ! », sans pour autant investiguer plus loin.
Mes nerfs commençaient à lâcher. La fougue passée laissait place à des regrets et un stress grandissant. Qu'est-ce que je faisais là ? Quelle folie m'avait fait venir ici ? Pourquoi n'étais-je pas dans le bureau du Maître comme il me l'avait ordonné ? Je pensai revenir sur mes pas, en vain ; mes arrières s'étaient transformés en une masse noire sans détails.

« Il faut que je m'annonce et que je demande à être ramenée auprès du Maître. Il faut que je dise que je me suis perdue » pensai-je, frémissante.

Mais à qui m'adresser ? Ce n'était pas aussi trivial que de demander sa route. Il m'était interdit de m'adresser à un Maître directement, sans que l'on m'y autorise. Je regardai avec impuissance autour de moi sans oser capter l'attention des silhouettes pressées. Il n'y avait aucune chance que ça se passe bien, même avec toute la politesse du monde.

La situation paraissait sans issue. Il fallait que je m'assoie, vite ; l'angoisse et l'anémie ayant eu raison de mon équilibre. Je franchis en titubant en la porte du café, m'affalant sur le premier fauteuil que je rencontrai.
Je fermai les yeux pour me couper quelques instants de cette dure réalité et éviter par ailleurs de croiser le regard du premier vampire qui se rendrait compte de la fraude.

Les chiens des vampiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant