Quand on s'est promené

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Je ne m'allongeais pas souvent sur le canapé du salon. C'était plutôt la place du Maître, marquée par son odeur de terre et de cendre. Ma tête reposait sur l'accotoir, là où il posait habituellement la sienne. Mes pieds, en revanche, n'atteignaient pas le bout du canapé. Je les gardais au chaud sous une couverture de laine que le Maître avait dénichée au fond d'une armoire.

Depuis que j'avais quitté l'hôpital de Catherine, j'avais passé une nuit et un jour entier à me reposer. Mon énergie revenait petit à petit, tout comme ma peau qui retrouvait son teint rosé. La fatigue passée, les questions se remettaient à tourbillonner dans ma tête.

J'observais Meiré qui semblait très concentré. Il avait rassemblé du matériel pharmaceutique sur la table basse et était en train de doser un liquide brunâtre dans une pipette millimétrée. Son activité suspecte m'intriguait ; j'avais rarement l'occasion de voir ses talents de scientifique à l'action.

Après avoir reposé la pipette sur un support à cet usage, il approcha son pouce contre la pointe d'une de ses canines. Quand il mordit dedans, mes yeux s'écarquillèrent.

- Mais que fais-tu ? m'écriai-je, choquée.

Une bulle de sang noir s'était formée sur son doigt. Il la fit glisser dans le récipient de verre, puis tapota celui-ci de son index pour en mélanger le contenu. Le liquide avait prit une teinte noire. Il semblait satisfait. Sans détacher son regard de la pipette, il répondit enfin :

- Des interférons.

Je réalisais à l'instant que je ne l'avais jamais vu en faire. Était-ce une nouvelle recette ? Je fixais la pipette d'un œil interrogatif.

Il avait imbibé un chiffon d'alcool et l'utilisait pour désinfecter l'aiguille d'une seringue. Flairant mon désir d'en savoir plus, il ajouta :

- D'habitude je ne le fais pas moi-même. Mais il sera plus efficace ainsi.

Il transféra le contenu du récipient dans la seringue, puis quitta son siège, s'avançant vers le canapé. À son approche, je pliai les jambes pour lui laisser la place de s'asseoir.

D'un signe de la main, il me suggéra d'approcher. Confiante, je lui tendis mon bras, me doutant qu'il en aurait besoin. Il glissa son pouce le long de ma peau pour chercher la veine la plus appropriée.

- Ferme ton poing, demanda-t-il calmement, alors que ses yeux se teintaient d'une lueur rouge.

J'obéis sans broncher. Il posa l'aiguille de la seringue sur une ligne bleutée, au niveau de mon coude intérieur. Il me jeta un rapide coup d'œil, comme pour s'assurer que j'allais bien, puis il perça l'épiderme pour injecter lentement et méticuleusement le produit dans le vaisseau sanguin.

J'ouvris la bouche pour dire quelque chose, sans pour autant oser le faire. Le Maître détacha son regard de mon bras pour me fixer de ses deux petites pupilles.

- Il y a un problème ? s'enquit-il.

Je secouais la tête, intimidée.

- Non, non.

Un minuscule sourire apparut au coin de mes lèvres.

- Si seulement tu pouvais être aussi délicat avec ma gorge, murmurai-je en plissant les yeux d'un air joueur.

Le Maître parut premièrement surpris, puis sa bouche s'élargit pour dévoiler un sourire aux canines saillantes. Il retira la seringue de mon bras d'un geste vif, et sans me lâcher des yeux, il essuya lentement l'aiguille recouverte de sang sur sa langue.

- Je vois que tu vas mieux, railla-t-il, amusé.

Un frisson d'effroi me grimpa dans le dos et je baissai immédiatement la tête. De toute évidence, je n'étais pas de taille à jouer avec Meiré.
Néanmoins, j'étais heureuse d'avoir détendu, même pour un instant, cette atmosphère si lourde qui ne nous avait pas quittés depuis l'incident avec Charles.

Les chiens des vampiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant