Quand il a gravé son nom (1/3)

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Plusieurs nuits étaient passées depuis cette morsure et pourtant j'y pensais encore. Pourquoi le Maître m'avait-il épargnée alors qu'il semblait pourtant si déterminé à me tuer ?

Intimidée, je n'avais pas osé lui poser la question. Il n'était pas souvent présent, disparaissant chaque nuit pour des raisons inconnues et ne revenant qu'au matin. En son absence, la chambre baignait dans le silence. J'avais beau tendre l'oreille pour capter les bruits de la rue, aucun ne traversaient la fenêtre scellée.

Se doutant probablement que je finirais par m'ennuyer en attendant son retour, il avait laissé tout un tas de livre sur une étagère à coté du lit. Ce n'était pas la première fois qu'il avait fait preuve de bienveillance — en apparence. Cherchait-il à m'amadouer ? Si c'était son intention, alors pourquoi avait-il mordu si fort à ma gorge ? Pourquoi n'avait-il pas bu à mon poignet comme le faisaient mes anciens Maîtres ? Ses deux canines avaient marqué ma peau d'une profonde cicatrice qui me piquait encore, malgré la dose de médicaments.

Il valait mieux que je m'attende au pire à son sujet et que je ne baisse pas ma garde. Du reste, il n'avait pas encore fait changer mon collier. Peut-être n'avait-il pas l'intention de me garder ! Les gardiens m'avaient mise en garde : si je ne convenais pas au prochain acheteur, ils se débarrasseraient de moi en m'envoyant aux vaches. Rien ne me terrorisait plus que l'idée d'être enfermée dans mon propre corps sans ne pouvoir ni bouger, ni parler, tout en attendant une mort qui n'arriverait peut-être jamais.

Ces pensées m'avaient retourné l'estomac. Il fallait que je pense à autre chose. Vite.

Je tendis le bras pour attraper un livre. La couverture abîmée recouvrit mes doigts de poussière. L'ouvrage était vieux. Il datait certainement d'avant la guerre. Je l'ouvris sur une page au hasard. Dès la lecture des premières lignes, une étincelle d'excitation me traversa le ventre. Le livre parlait du monde d'avant ! Il en parlait comme si rien n'avait changé ! Mais la surprise fut de courte durée. Les ténèbres gagnèrent aussitôt mon cœur, étouffant ce bonheur naissant.

C'est un piège ! Ce monde n'est pas le mien ! Ce monde a disparu !

Troublée, je jetai brusquement le livre devant moi. Les pages fragilisées se détachèrent en plein envol. La couverture frappa la porte de la chambre dans un bruit sourd.

Mes mains tremblaient. Je me sentais mal. J'attrapai le premier coussin à ma portée et le pressai contre mon ventre.

Au même instant, la porte émit un bip. Le Maître entra précipitamment dans la pièce comme si un bruit l'avait alerté. Il scruta rapidement les alentours en balayant l'air de ses longs cheveux, puis ses yeux rouges se posèrent sur le tas de feuilles à ses pieds. Il parut soulagé. Il s'avança vers le lit à pas lourds et m'adressa un regard confus.

— Pourquoi tu as jeté ce livre ?

Au lieu de lui répondre, j'enfonçai mon visage dans l'oreiller pour fuir sa présence écrasante.

Il soupira longuement.

— Tu es vraiment bizarre.

Je tressaillis à ses mots. Même prononcés sur le ton de la légèreté, ils sonnaient comme une reproche.

— Je suis désolée, murmurai-je au fond du coussin. Je ne le ferai plus !

Je ne comptais plus le nombre de fois où j'avais du m'excuser. Le Maître restait silencieux. Était-il en colère ?

— Nous allons sortir, annonça-t-il subitement. Va donc te préparer.

Mon cœur fit un bond. Sortir ? Mais pour aller où ? À l'élevage ? Prise de peur, je détachai ma tête du coussin pour le supplier du regard.

Les chiens des vampiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant