Quand nous sommes allés chez Adeline (2/2)

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La soirée s'éternisait. J'avais tenté de fermer l'œil, en vain. Les derniers mots d'Adeline résonnaient en boucle dans ma tête. Torturant les pauvres coussins de mes mains anxieuses, j'essayais désespérément de chasser de mon esprit le regard condescendant de Charles. J'avais beau me répéter que le Maître ne me laisserait jamais à lui, je n'arrivais pas à y croire. C'est en voyant Meiré poser son regard chaleureux sur Adeline, que la fragile certitude qu'il me portait encore de l'affection s'était effacée pour laisser place au sentiment amer que j'étais dispensable.

La tristesse m'avait gagnée, mais mes yeux restaient secs. Je devais bien me tenir, tout comme je l'avais promis au Maître. Aucun faux pas ne me serait toléré jusqu'à ce que les problèmes avec Charles soient réglés.

Gaen dormait toujours, le visage serein. Partageait-il les mêmes craintes que moi ? Espérait-il un jour retrouver sa liberté ? Je me réjouissais du jour où nous pourrions enfin discuter.

La porte de la cloison que les vampires avaient refermée plus tôt s'ouvrit enfin. À l'approche agitée de la grande silhouette de Meiré, je me redressai pour lui faire face. Il s'arrêta juste devant moi, pris mon visage dans ses mains, et annonça tout bas, forçant son regard flamboyant dans le mien :

— Je te laisse ici pour la journée. Tiens toi bien, c'est compris ?

La nouvelle inattendue me figea sur place. J'avais depuis si longtemps souhaité que cet instant arrive, que c'en était devenu irréel.

— Je... Je vais rester dans le jardin... avec Gaen ? bredouillai-je, tentant de contenir ma joie.

Le Maître acquiesça d'un sourire à peine perceptible. Ses mains glissèrent le long de mes joues. Il tourna les talons pour se diriger vers le pallier où Adeline lui tenait la porte.
Le voir partir, seul, réveilla une crainte au fond de mon ventre. M'abandonnait-il ? Au fur et à mesure que la porte se refermait derrière lui, l'anxiété pris possession de ma poitrine. Sans réfléchir, je dévalai le salon pour le rattraper. Avant que je n'atteigne la porte, Adeline coupa mon élan en me capturant fermement par l'épaule. Elle m'adressa un regard sévère teinté d'incompréhension.

— Le Maître reviendra me chercher ? lui hurlai-je d'une voix affolée, à l'instant où la porte claquait.

Adeline se mit à rire, soulagée. Elle semblait ne pas vouloir se fâcher avec moi.

— Mais oui, demain ! lança-t-elle, tu as peur qu'il ne te laisse ici à jamais ?

Je secouais la tête, honteuse. Mon inquiétude n'avait pas lieu d'être.

— Tu vas te tenir sage ici, n'est-ce pas ? ajouta-t-elle d'une voix amusée, avant de lâcher mon épaule.

Mon regard fuyant se perdait dans les coutures de sa robe.

— Oui, dis-je docilement.

La femme croisa ses bras dans un soupir.

— Va réveiller Gaen avant qu'il ne fasse jour, ordonna-t-elle.

*

Suivant probablement les consignes du Maître, Adeline avait fixé la première extrémité d'une longue chaîne au mur extérieur de sa demeure, et la seconde à mon collier de métal.

Alertée par l'abaissement synchrone des stores de ses fenêtres, elle était rentrée chez elle, avant que les premiers rayons ne viennent brûler sa peau.

Gaen, une couverture sur les épaules, attendait assis dans l'herbe, scrutant le ciel de campagne. Calme et dégagé, le ciel n'avait pour habitants que quelques petits nuages solitaires. La poussière qui le recouvrait autrefois s'était volatilisée, tout comme les traînées d'avion, pourtant si fréquentes à l'époque. À quelques kilomètres de là, les hauts bâtiments de la ville, néons éteints, fenêtres dissimulées, dormaient aussi profondément que leurs propriétaires.

Les chiens des vampiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant