20. Broken things

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Une larme roula sur ma joue et s'écrasa sur mon jean tâché de sang. L'odeur métallique d'hémoglobine était écoeurante.
Le pompier continua de bander ma main, en silence. Je le haïssais. Pour la seule raison qu'il ne ressentait pas ma douleur. Je haïssais la terre entière.
Je m'étais brisé la troisième phalange de tous les doigts de la main gauche.
Le pompier me jeta un coup d'œil hésitant puis m'informa :

"J'ai essayé de faire du mieux possible M. Legrand, mais je ne peux pas vous bander les doigts si vous n'acceptez pas que je coupe votre alliance."

Je le fixai, me demandant comment il pouvait dire quelque chose d'aussi ahurissant. Je pensais qu'il ne se rendait pas compte. Avoir les doigts brisés était la chose la plus futile qu'il m'était arrivée. Je lui jetai alors un regard méprisant et m'adossai à la paroi du camion. Le pompier prit cela comme un accord de ma part et s'approcha avec une pince. Je dégageai vivement ma main. Une vague de douleur se propagea et courut jusque dans mon bras. Mais je ne bronchai pas.
L'homme soupira et tenta de m'expliquer :

"M. Legrand, je vous assure que c'est pour votre bien. Je sais que vous venez de vivre quelque chose de très dur mais retirer ou pas votre alliance n'y changera malheureusement rien. Vos doigts sont gonflés et je ne peux pas retirer la bague sans la couper. Allez, donnez-moi votre main s'il vous plaît."

De quel droit donnait-il son avis sur ce que je venais de perdre ? Il en était hors de question. Mon alliance était le seul lien qui m'unissait encore à Laura. Cette pensée me déchira. Je me mis à sangloter comme un enfant.
Le pompier se saisit doucement de ma main gauche et approcha la pince. Je voulus me dégager mais la douleur et son emprise m'en empêchèrent. Il ouvrit sa pince et plaça ma bague entre les deux lames. Mon cœur battait à un rythme affolant et le sang affluait dans mon visage. Il commença à abaisser les lames. Il n'avait pas le droit de la couper comme cela, comme si cet anneau ne représentait rien. Avant qu'il ait le temps d'achever sa tâche, je lui assénai un violent coup de poing dans le pommette. Il recula, étourdit. Ma respiration était saccadée. Je détendis ma main droite.
D'autres pompiers accoururent pour aider leur collègue. Ils me regardaient comme un fou. Pourtant, c'était lui qui avait voulu briser le petit morceau d'or blanc qui faisait de Laura ma femme.

L'homme que j'avais frappé ordonna à ses collègues :

"Ôtez-lui cette putain de bague."

Tous mes muscles se crispèrent. On m'entoura et tenta de m'immobiliser. L'un des hommes me retourna et se plaça dans mon dos. Je me débattis tant bien que mal. Je n'allais pas les laisser faire. Le pompier à la pommette rougie s'approcha de nouveau, armé de sa pince. Je cherchai à me dégager à tout prix de l'emprise des pompiers. Ils étaient trois à me maintenir. Je tirai le plus fort possible sur mes membres. Avec le recul, je savais que cela pouvait sembler idiot, mais ce qu'ils tentaient de faire était, à ce moment-là, quelque chose d'inadmissible à mes yeux.
Mais évidemment, j'étais bien plus faible qu'eux. J'avais beau pousser la paroi du camion avec mes jambes de toutes mes forces, cela n'avait aucun effet. L'homme blessé ferma la pince et un bruit métallique se fit entendre. La pince claqua et l'anneau se fendit en deux, chacun des morceaux tintant au contact du sol. Je continuai malgré tout de me débattre, afin de me dégager de leur emprise. Soudain, le pompier derrière moi se poussa et ses collègues me lâchèrent. Sans avoir le temps de comprendre, avec l'élan, je partis à la renverse et mon crâne heurta quelque chose de dur. Je tombai lourdement sur le dos et ma vision se troubla. J'entendis une voix crier :

"Espèces d'idiots ! Vous ne pouviez pas le retenir ?"

Malgré moi, mes yeux se fermèrent et je n'entendis plus rien.

"M. Legrand ? M. Legrand, vous m'entendez ?"

J'ouvris un œil et fut violemment ébloui par la clarté qui régnait autour de moi. Je fermai à nouveau les yeux.
La voix qui m'avait appelé insista :

Overwhelmed.Where stories live. Discover now