Chapitre 2 - Comme avant

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D'aussi loin que je me souvienne, dès que Lili et moi avons été dans la même classe, je passais le plus clair de mon temps à la regarder. Ça m'occupait. Ça me divertissait. Quand je n'écoutais pas les leçons, je la regardais. Quand j'étais dans la cour de récré, je la regardais. Quand elle passait au tableau, timide, les joues en feu, je l'admirais. Lili a toujours été comme le centre de tout un monde ou du moins, je me suis construit un monde en la prenant comme centre. C'était comme ça. C'était devenu plus fort que moi.

Si on me demandait où cela avait commencé, je ne saurais répondre. L'école primaire ? Peut-être avant ? Aucune idée. Mais la fois où mon regard a croisé le sien larmoyant pour une chaussure tombée dans une bouche d'égout, le jour où j'ai mis mon bras là-dedans pour l'attraper, ce moment où je me suis senti comme un héros...Je savais que c'était à cause d'elle. C'était elle qui voyait toujours cet aspect-là de moi. Que je ramasse une chaussure ou que je chasse les monstres sous son lit, j'ai toujours été perçu comme ça. Des fois, ça me gêne, d'autre fois non. En vérité, ça gonfle mon égo donc je suis content, mais je présume que je ne devrais pas vraiment y prendre goût.

Pourtant, j'y ai pris goût.

Je me suis habitué à avoir Lili, gravitant autour de moi et de tout ce que je faisais. C'était comme ça.

Ma mère riait quand je revenais de l'école en boudant, contrarié, car elle savait que c'était les jours où Lili n'était pas venue. Je revenais plus tôt exprès pour aller la voir et je revenais vexé de m'être fait abandonner. Parce que Lili était mon tout. C'était ma bouffée d'oxygène dans un monde bien trop pollué.

Puis, on a grandi.

On a petit à petit arrêté d'être dans la même classe. On a évolué l'un sans l'autre. Enfin, je présume que c'est particulièrement vrai pour elle quand je vois le nombre de personnes qui l'entoure. C'est fou. Je me dis que c'est comme un aimant. Elle attire les gens. Elle a toujours attiré les gens. Je ne sais pas comment elle fait. Moi les gens, je ne les aime pas. Enfin, ce n'est pas que je ne les « aime » pas, mais disons que je me contente de les « apprécier ». De les apprécier de loin. Vous voyez le genre ?

« - Tristan ! »

Je vois une main s'agitant à l'autre bout du campus, scandant mon nom et arrivant à vive allure.

« - Je ne savais pas que tu serais encore là ! Tu veux que l'on rentre ensemble ?

- Ouais, j'avais un truc à récupérer à la bibliothèque. Bah si tu veux écoute, on va dans la même direction de toute façon. »

Je mens. Je lui mens. Mais ce n'est pas un de ces mensonges dégueulasses, non, je lui mens parce qu'en vérité, je me suis contenté de l'attendre. J'étais bien à la bibliothèque à rattraper mon retard sur le cours de ce matin, mais c'était surtout pour l'attendre. Rentrer avec elle était l'un de mes petits plaisirs personnels. Chaque journée se terminait bien à condition que je rentre avec elle. J'aimais l'entendre me raconter ses journées, ses nouvelles rencontres, j'aimais voir ce sourire suspendu au bout de ses lèvres toutes fines, j'aimais tout simplement voir l'excitation qu'elle avait quand elle me racontait tout ça.

J'aimais la simplicité de Lili. Je l'ai toujours aimée. Elle n'était pas de ces filles qui en font un paquet et qui rajoutent tout un tas de choses improbable au récit de leurs vies, non. Lili allait à la simplicité. Elle savait qu'elle me perdrait sinon dans la conversation.

« - Tu sais ce que ça me rappelle ?

- De quoi ?

- Rentrer ensemble...

- Non, dis-moi.

- Toutes ces fois où l'on est rentré ensemble quand on était au collège et que tu te mettais toujours du côté de la route. Comme maintenant.

- Si tu veux le côté de la route, je te le laisse hein... »

Ou pas. Tout le monde sait que c'est dangereux.

Au début je mettais mis là pour prendre les flaques d'eau à sa place. Parce que Lili, quand elle est mouillée, elle frise. C'est rigolo. Ça fait plein de bouclettes dans ses cheveux un peu comme un petit mouton. Elle, elle déteste ça. Elle râle à chaque fois. Elle dit, à chaque temps de pluie, qu'il lui faudra au moins trois heures pour tout démêler.

En sachant qu'elle tient déjà une bonne heure dans la salle de bain en temps normal.

« - Oh ! Je dois passer faire deux ou trois courses avant de rentrer ! J'oubliais. Tu n'as qu'à rentrer sans moi !

- Tu rigoles ou quoi ? Je t'accompagne. »

D'une, les parkings de supermarché la nuit, c'est très dangereux et de deux, j'aime bien faire les courses aussi. Enfin, traîner entre les rayons tout ça.

Le rayon qui me met le plus mal à l'aise, c'est quand elle m'entraîne dans le rayon « Hygiène et Salle de bains » et qu'elle m'oblige à porter ses boites de tampons. Je veux bien que l'on se connaisse depuis l'enfance et que l'on se soit vus nus un nombre incalculable de fois petit, mais ce n'était pas une raison pour m'obliger à l'accompagner dans ce rayon précisément. Elle sait que ça me gêne et pour en rire elle me dit souvent « Quand tu auras ta première copine, je viendrais avec toi choisir tes capotes, histoire que tu ais un avis féminin ».

Ma « première copine » même dans mes rêves elle n'existe pas. Enfin si, elle existe, mais elle ne le remarquera sans doute pas.

« - Tu dois acheter quoi ?

- Oh juste de quoi faire le repas de ce soir sinon papy va râler comme quoi on commandera encore une pizza ahahah !

- Donc ? Qu'as-tu prévu de faire ?

- Je n'en sais trop rien encore, je verrais si j'ai un coup de cœur sur quelque chose. »

Oui, Lili a toujours été celle qui fait les courses, la cuisine, les tâches ménagères. Quand j'allais chez elle, son grand-père me faisait toujours un peu peur. C'était un vieil homme autoritaire qui supportait très mal le voisinage qui laissait les soins de la maison à une petite fille de dix ans. Du coup, Lili venait souvent chez nous. Elle dormait chez nous, mangeait chez nous, jouait chez nous. C'était un peu la fille que ma mère n'a jamais eue. C'était censé être ma « petite sœur », mais je ne l'ai jamais perçu comme telle. Jamais.

Je l'ai toujours vu « autrement ».

Aujourd'hui plus qu'hier.

« - Et toi ce soir tu vas partir à la chasse ?

- À la chasse ? De quoi tu parles ?

- Bah...De cette fille qui hante tes pensées et qui t'empêche de suivre tes cours correctement.

- Ah ! Hmm, je ne suis pas sûr. Il n'y a rien de prévu ce soir. Je verrais. »

Pour une fois que l'on passe du bon temps ensemble, il faut qu'elle parle « d'elle ». Comme s'il fallait en parler. Comme si je n'y pensais pas assez.

« 3173 ». Je n'ai jamais compris pourquoi on lui donnait ce numéro. Je n'ai jamais compris ce qu'il signifiait et peut-être ne m'y étais-je pas assez attardé. Je n'en sais trop rien. Tout ce que je savais, c'est qu'elle sortait rarement tous les soirs.

Mademoiselle avait des goûts de luxes.

3173  : Attrape-moi si tu peuxWhere stories live. Discover now