Chapitre 4 - Contre le reste du monde

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Le jour n'était pas encore tout à fait levé quand j'ai ouvert un œil, mais on entendait déjà les premiers oiseaux dehors. J'ai attrapé mon téléphone pour regarder l'heure : 5h30...Encore une journée trop matinale pour moi.

Je me lève tout doucement, je me glisse hors du drap en écartant délicatement la jambe de Lili, suspendue sur la mienne. Comme à son habitude, elle a monopolisé tout l'espace pendant la nuit, elle s'est étalée et a conquis le lit plus vite que n'importe qui. C'est bien sa spécialité ça : Prendre toute la place. J'ai failli finir plusieurs fois par terre, je me sentais poussé par moment.

On ose encore dire que les filles sont le sexe « faible », chose qui me fait bien rire quand je vois la force qu'elles ont dans les bras pour garder la couette sous le coude.

Dans la cuisine, je remarque que le journal est sur la table. Mon père devait être là il n'y a pas si longtemps que ça. Je ne l'ai pas entendu rentrer hier soir et je ne l'ai pas entendu partir ce matin. Il existe des jours comme ça où l'on ne se croise quasiment jamais. Je devrais m'en plaindre, mais je ne le ferais jamais.

Mon père est un héros. Du moins pour moi. Il l'a toujours été. C'est peut-être et même sûrement à cause de lui que je tiens tant à faire la même chose. Ma mère me répète souvent que je lui ressemble plus que je ne le pense.

Je commence à préparer le petit-déjeuner, je mets la table. Je sais que ça va l'appâter. Tel un ogre sentant l'odeur de la nourriture, Lili au petit matin a toujours été comme ça. Le seul moyen de la réveiller, c'est de lui faire sentir l'odeur du pain grillé. Ça va l'attirer.

Je m'installe, commence à attraper le journal et j'entends juste à ce même moment :

« - Bonjour Tristan. »

Elle arrive à ma hauteur, en bâillant, les cheveux dans tous les sens, l'air endormi, se laisse tomber sur la chaise. La tête de Lili au réveil m'amuse beaucoup. C'est comme « bien » commencer la journée. Sa tête rondouillette se balance d'avant en arrière comme un pendule, certainement sous le coup de la fatigue, ses yeux sont à moitié ouverts comme ceux d'un chaton à la naissance et puis elle reste là, à regarder l'immensité du vide sans rien dire.

Je la sers, par habitude, et on ne dit rien. C'était une routine pour nous. Nous n'avions plus l'âge de nous montrer tout nus l'un à l'autre, mais il y a encore des choses qui restaient gravées en nous.

Dormir ensemble. Rire ensemble. Se lever ensemble. Déjeuner ensemble. Vivre en quelque sorte ensemble...Tout ça, c'était notre habitude bien à nous et c'était tout ce dont j'avais besoin dans la vie. Je n'avais pas besoin de tous ces artifices que la vie peut bien nous apporter.

Je n'ai besoin que de voir le visage de Lili tous les jours. Sous toutes ses couleurs et toutes ses formes.

Parce que le visage de Lili était ce qui me faisait battre mon cœur. Elle me rendait plus vivant que jamais.

On se prépare ensemble, on va dans la salle de bain ensemble pour brosser nos dents. Il y a toujours une brosse à dents rose dans le pot. C'est celle de Lili. Ma mère prend toujours le soin de laisser des affaires qui pourraient lui servir. C'était la fille de la maison. Celle qui n'a jamais existé.

Mais quand Lili était là, ça apportait de la douceur et de la grâce à une maison qui n'en avait pas forcément.

Ma mère était bien trop occupée à veiller et à se soucier de ses deux hommes sortant pratiquement tous les soirs.

« - On mange ensemble aujourd'hui encore ?

- Ah...J'ai promis à Oliver que je mangerais avec lui. »

Encore celui-là. Inconsciemment je pensais qu'il n'existait que dans un de mes cauchemars.

« - Ah...ok. Pas de soucis !

- Tu n'as qu'à manger avec nous si tu veux ! Je suis sûre qu'Oliver sera content de faire ta connaissance.

- Ahahaha...C'est gentil, mais je viens de me rappeler que finalement j'ai un cours à bosser. J'irais sûrement à la bibliothèque. »

Menteur.

« - Tu passes ta vie à la bibliothèque Tristan...Ce n'est pas comme ça que toi aussi tu trouveras quelqu'un ! »

Je ne voulais pas « trouver » quelqu'un parce que je l'avais déjà sous la main, et ce depuis tellement longtemps maintenant, mais parfois, égoïstement, j'oublie que Lili n'est pas à moi. Ce n'est pas ma priorité.

Ce n'est rien. C'est mon amie d'enfance et puis voilà. C'est tout.

Une amie.

Lili, elle, elle aime Oliver. Suffit de voir sa tête s'allumer comme un sapin de Noël pour le comprendre.

Mais si elle est heureuse comme ça, alors ça me suffit.

À la première larme, je m'assurerais simplement de cacher le corps de ce gars dans un endroit que même mon père ne sera pas capable de trouver.

Parce que Lili, je la protégerais. Ça sera moi contre le reste du monde.

Ça a toujours été moi contre le reste du monde quand ça la concerne.

3173  : Attrape-moi si tu peuxWhere stories live. Discover now