En voiture Constance

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Constance

Je ne sais pas bien de quoi j'ai l'air emmitouflée dans mon plaid jaune poussin sur la banquette du café de Gérard mais j'y suis bien.

Gérard est un homme avenant qui a l'air plutôt ravi de me voir quand j'arrive le matin armée de mon Mac et de mon téléphone.

Il prépare toujours une cafetière à l'ancienne pour moi, sachant que j'en ai pour la matinée de faire mes recherches et m'offre un croissant sous prétexte qu'il lui en reste en trop.

J'ai contacté tous les artisans du coin, pour l'instant pas un n'accepte  de venir faire les travaux chez Mamé - ou ne peut s'engager dans ce que nous appelions entre nous communément : le détroit des Dardanelles. Une simple voiture peut passer, rétroviseur rabattu, et s'en sortir indemne mais peu de camionnettes arriveraient à s'enfiler entre ce muret abrupte et la paroi rocheuse.

Quand j'étais petite l'attraction consistait à regarder combien de camion, camionnette ou grosses voitures resteraient coincées durant l'été. Une fois, un semi-remorque s'y était risqué et avait voulu reculer... Il était tombé tout droit dans la restanque du dessous ainsi que la remorqueuse venue le dépanner. Ça nous avait tenu tout l'été en ragot avec Mamé.

Gérard interrompt le cours de mes pensées.

— Tiens regarde Constance, y a le gang des mamies bigoudis dont je te parlais hier qui sont de sorties.

Je lève les yeux de mon ordinateur et me lève pour aller près de la porte vitrée. Dehors, huit bonnes-femmes âgées viennent d'arriver dans le jardin d'enfant jouxtant la place. C'est un petit parc avenant équipé de trois bancs côtes à côtes qu'elles annexent aussitôt faisant fuire les enfants et leurs mères avec leurs regards peu commodes. J'observe leur manège en souriant.
Elles sortent d'un seul homme chacune un sac isotherme marqué "Ricard" et se mettent à jacqueter comme des poules.

— Elles viennent là souvent ?

— Je t'ai dis ! Tous les mardis, qu'il pleuve ou qu'il vente.

Je continue de les observer en riant sous cape avant de retourner à mes recherches.

Je ne peux m'empêcher de penser que ma vie a pris un bien étrange tournant. Demain j'irais voir Mamé, je ne peux plus repousser bien longtemps ce moment. Mais il me faut une voiture.

— Gérard, où est-ce que je peux louer une voiture pas trop large ?

— Aimé a fini de retaper une vieille deux chevaux, il me parlait de la mettre en vente ou de la louer.

Je ne demande pas qui est Aimé, ici, ils s'appellent tous par leurs prénoms. J'ai pourtant moyennement confiance dans l'idée de conduire un vieux tas de ferraille retapé par un ancien du village.

— Et je le trouve où Aimé ?

Il attrape son téléphone discute montre en main sept secondes avec son copain et raccroche.

— Il t'attendra au garage à quatorze heure.

Je sens l'affaire rondement menée et me remets dans ma recherche, au moins quelque chose de positif dans ma journée ! Au pire je prendrais le bus pour Montpellier et irais chez Avis ou prêtemoiunevoiturehorsdeorix.com

*

Doc

Je quitte à regret mon travail pour aller au garage louer ma vieille deudeuche, je me suis attaché à cette voiture mais elle s'abîme à rester immobile. Je pourrais alterner avec ma Ford mais avec mon boulot je ne peux pas me permettre d'avoir une vieille voiture. Je suis parfois amené à bouger et faire de la route et il vaut mieux être bien équipé contre les secousses des routes de montagne.

— Aimé, mon pote !

Je serre la main de Salim mon copain garagiste. C'est un palestinien et de fait le seul homme typé de Saint-Jean ce qui lui a valu d'être mis à l'écart au début. Le racisme est vraiment partout. Sa femme Fatima, une superbe marocaine, le vit très mal.

— Alors le taf ?

— Rien de neuf, toujours les mêmes problèmes tu sais Salim la clientèle ne change pas. Et toi ?

— Y a une conne de passage qui m'a pris la tête l'autre jour pour me demander un sandwich et un coca. Pour eux, t'es typé arabe, soit tu tiens une supérette soit t'es un terroriste.

Je rigole et l'invite à boire un verre demain soir avec Hervé et moi. J'aime bien notre trio : un protestant, un juif et un musulman de quoi défier les préjugés.

— T'as une nana canon à 2 heures !

Je me tourne et je l'aperçois. Encore elle ? C'est vrai qu'elle est canon, pas fantasmagorique mais elle détonne à Saint-Jean.

— Ferme la bouche Salim ou j'en parle à Fatima.

— Pitié, elle me fait peur.

J'avoue que sa femme me fait peur aussi, elle est adorable mais quand elle s'énerve mieux vaut être loin, avec elle Salim est doux comme un agneau.

La parisienne entre et me contemple.

— Vous !

— Ce n'est pas très poli comme entrée.

L'emmerdeuse se tourne vers Salim tout sourire et lui tend la main, exagérément avenante.

— Bonjour, je m'appelle Constance, je suis nouvelle en ville.

Fier comme un coq, il lui tend la main et oublie tout sentiment de fraternité, le traître.

— Enchanté, bienvenue à Saint-Jean, je m'appelle Salim Feradgé, je suis le propriétaire de ce modeste garage, si je peux vous être utile ?

Il me fait rire avec sa façon de parler un peu ampoulée quand il veut faire bonne impression.

— Vous êtes nouveau aussi ? Demande t'elle avec une voix charmante.

— Vous dites ça parce que je suis typé ? Fait-il semblant de se vexer.

Elle rit doucement et lui désigne le panneau de l'entrée.

— Non parce qu'il y a marqué "bienvenu chez Roger"

Salim éclate de son rire franc et chaud.

— Roger, ça appâte mieux le client par ici et la clientèle aimait bien le vieux Roger. Bon alors, en quoi puis-je vous être agréable ?

— J'ai rendez-vous avec un vieux monsieur pour une deux chevaux.

Mon ami se tourne vers moi, moqueur.

— Aimé, c'est pour toi, je t'ai toujours dis que tu n'étais plus de la prime jeunesse !

Et j'ai la grande satisfaction de la voir rougir jusqu'aux racines.

— C'est vous Aimé ?

Je hoche la tête.

— Je vous imaginais plus vieux... votre prénom n'est pas tout jeune !

— Dixit la personne qui porte le même prénom que mon arrière arrière grand-mère ! Allez suivez-moi au lieu de dire des conneries, je vous montre ma voiture.

— Pas question que je fasse affaire avec vous, je vais voir si je trouve autre chose.

Elle se tourne vers Salim qui secoue la tête puis serre les lèvres et me suit finalement sans rien dire.

Tout ça pour ça (terminée)Where stories live. Discover now