Le Parrain

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Aimé

J'emmène Anna et Eugénie manger un morceau, on se parle comme si le temps n'avait pas eu d'emprise, c'est magique, Anna est exactement comme avant. Eugénie en revanche a grandi en deux ans mais elle se souvient de moi quand même. Sa petite main se presse dans la mienne et son sourire m'illumine. Renoncer à Eugénie a été le plus dur dans cette rupture. En soit, elle n'avait rien demandé alors que Anna et moi étions adulte, on avait fait nos choix. On s'aimait mais pas assez pour qu'elle plaque tout pour venir ici et moi pas assez pour que j'abandonne mon rêve d'être un médecin "de campagne"
Et pourtant Dieu que je l'avais aimé cette femme.

Anna est sculpturale dans sa robe noire qu'elle a probablement dû payer une fortune. Je déglutis en me souvenant qu'on nous appelait "les top-modèles" ça m'avait longtemps fait rire jusqu'à ce que je trouve cela superficiel et un brin vexant. Elle commande une crème brûlée et l'enfourne dans sa bouche sans se soucier des calories. La Anna que je connaissais ne mangeait jamais de sucre, je lui dis.

— J'ai changé que veux tu ! Et Ninie a rempli nos placards de cochonneries !

— Tu as quelqu'un ?

Ma question tombe comme un cheveu sur la soupe, j'avais plutôt envisagé de lui demander ce qu'elle faisait là. Surprise, elle laisse sa cuillère en suspend avant de répondre.

— C'est compliqué, et toi ?

J'élude sa question et j'attaque avec ma deuxième interrogation.

— Qu'est-ce que tu es venue faire à Saint-Jean, Anna ?

Elle sort une lettre décachetée et me la tend. Fébrilement, je m'en empare et la parcours à toute vitesse. J'ai beau ne pas connaitre son écriture, il n'y a qu'une personne que je soupçonne et j'ai raison visiblement.

Anna,

Je sais que vous serez étonnée de lire ces lignes. Je suis entré par hasard ou par erreur dans la vie d'Aimé et à mon grand dam, c'est devenu l'une des personnes que j'apprécie le plus. C'est un homme bien, il a bien plus de noblesse que moi, sa vocation est touchante même si elle est étrange. Un médecin-barmaid, on aura tout vu.

Aujourd'hui, je me rends compte qu'il n'a pas encore tourné la page sur une chose : son affection pour votre fille. Il y a des "au revoir" que nous ratons et qui nous abîmes. Je n'ai jamais été "beau-parent" mais j'en ai eu un, je l'ai aimé profondément, comme un second père, comme un ami, mais quand ma mère et lui se sont quittés, il m'a quitté moi aussi. J'avais le sentiments d'avoir été en faute, d'être coupable de quelque chose que je subissais. Je ne l'ai jamais revu. Je vois que Aimé a profondément chéri votre fille, si c'est le cas pour elle aussi, ne pourrait-il pas y avoir un "au revoir" plus sincère, moins déchirant ? Ou même des retrouvailles ? Ne seriez vous pas prête à lui confier de temps en temps cette enfant si elle en avait envie elle aussi ?

Sincèrement - P Rotman

Fébrile, je remonte mon regard vers le sien, les larmes aux yeux, elle me sourit.

— Cette femme t'aime profondément.

Un rire gargouille dans ma gorge, si elle savait ... Elle doit trouver ma "copine" un peu nulle en conjugaison si elle le pense vraiment !

— Eugénie a beaucoup pleuré après notre séparation, je ne pensais pas qu'il y ai d'autres possibilités, je suis désolée.

— Je voudrais la revoir !

C'est sorti de ma bouche comme une évidence, la main de Ninie me serre si fort que je sais qu'elle le veut aussi.

— Je suis venue te proposer quelque chose. Eugénie est rentrée dans une démarche de baptême, c'est elle qui a demandé, je ne comprends toujours pas pourquoi.

Elle jette un regard étrange à sa fille et hausse les épaules.

— Et depuis quelques temps elle me soûle pour que tu sois son parrain, je n'avais pas considéré sa demande jusqu'à cette lettre.

— C'est oui ! Mille fois !

Les larmes coulent le long de mes joues. Toute cette souffrance que j'ai ressenti, à lui dire adieu à ma petite princesse, s'en va d'un coup. Je ne serais plus jamais son père, beau-père, mais je peux faire partie intégrante de son avenir.

Elle soupire et me caresse la joue de sa main, avec tendresse.

— Merci Anna, je te promets d'être à la hauteur.

— Je n'en doute pas une seconde, je ne pensais pas que tu souffrais aussi.

Je recule et prends Eugénie sur les genoux.

— Ma puce, je vais être un super parrain.

— On fait le bisous d'esquimau ?

Elle frotte son nez contre le mien et me regarde avec émerveillement.

Anna part régler le repas pendant que je parle à bâton rompu avec Ninie. Je jette un regard à sa mère, je réalise ce qu'il doit lui en coûter d'être là, je suis touché, encore plus avec ce geste qu'elle vient de faire. Il faut savoir qu'Anna était plus que contente de ne pas avoir eu de nouvelles du père de sa fille, elle répétait à qui voulait l'entendre qu'elle n'aurait jamais voulu d'une garde alternée. Et là, elle me concède une part très importante de sa fille. Je réponds à la blague d'Eugénie et m'esclaffe.

Anna revient.

— Aimé ... Est-ce que tu veux qu'elle reste avec toi ce week-end ? Elle me demande ça depuis des jours. On a discuté ensemble on ne doit pas s'imposer donc si tu ne peux pas ...

Je hoche la tête avant de me crisper, je n'ai plus rien pour l'accueillir vu que j'ai tout foutu en l'air ! Il va falloir tout racheter ! En même temps c'était des meubles de bébés, elle a six ans maintenant. ça fusse dans ma tête. Constance m'aidera peut-être ? Ou Peter... Mon Dieu, Peter est devenu la deuxième personne à qui je pense ! Pas Hervé, Gérard ou Salim, non Peter !

Anna semble encore hésiter et se décide.

— Et est-ce que tu la prendrais avec toi la deuxième semaine de vacance de noël, ça se passe mal au centre pour elle. Une petite peste la bouscule.

Je hoche à nouveau la tête, elle jouera avec Giulia, la fille de Marco. Je parle pendant deux heures pour apprendre toutes les consignes, je verrais avec Constance ou Peter pour qu'ils me remplacent sur les deux jours de consultation que j'avais, même pour demain au bar, Peter pourrait me remplacer non ? Arf ! Encore Peter !

Anna regarde sa montre et s'inquiète.

— Je dois y aller, ma chérie, tu es sûre que tu veux rester ici sans maman ?

— Oui !

— Je reviens te chercher dans deux nuits mon cœur.

Anna se penche vers moi, m'enlace et je sens ses larmes dans mon cou.

— J'ai été contente de te revoir Aimé, j'espère que tu es heureux ici.

Mon sourire parle pour moi mais je précise.

— Oui, très.

Et comme je ne veux pas d'ambiguïté, je lui dis.

— J'ai quelqu'un dans ma vie.

— Je sais.

Elle montre l'enveloppe et je ris à nouveau.

Oui, j'ai lui aussi.

Quand elle est partie, Eugénie et moi dansons la danse des poules que nous avions inventé il y a longtemps puis nous dirigeons vers le magasin de Drusilla Van Beck pour y acheter des choses pour la petite.

Je prends cinq minutes pendant qu'elle choisit une housse de couette "la reine des neiges" et appelle ma chérie.

Constance n'a pas l'air très joyeuse au téléphone et ne m'écoute même pas, elle me dit avoir besoin de passer le week-end sur la maison. Je suis déçu, j'avais tellement de chose à lui dire. Mais la main de Ninie m'entraîne vers le cinéma voir "les petits poneys"

Tout ça pour ça (terminée)Where stories live. Discover now