Les ravages de la tempête

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Aimé

Marco et Hervé nous attendent devant la porte.

— Y en a qui se sont éclatés pendant l'orage ?

Hervé et sa délicatesse !

Cela semble amuser un peu moins Marco qui grimace en voyant ma main serrer le bras de Constance qui vient de manquer une marche. Je me demande pourquoi, il voulait que je la laisse s'étaler ?

— Casa ... toit bizarre.

On aperçoit effectivement le toit de la maison de Juliette, un bon nombre de tuiles se sont envolées découvrant la charpente et les combles, mais j'ai l'impression qu'il n'y a là rien de dramatique à bout duquel il ne puisse parvenir.

Ma maison n'a rien eu, c'est un soulagement. Celle de Hervé a légèrement souffert sur la façade ouest mais dans l'ensemble on s'en tire tous plutôt bien.

— Titine ?

— Titine pas problème, rentrée dans maison !

Constance étouffe un "quoi" assez sonore qui me donne envie de rire. Devant son air affolé, Hervé tente la traduction en espagnol et nous explique qu'il l'a rentré dans l'appentis et non dans la maison. Je suis sûr que Constance a visualisé un court instant la 2CV bleu encastrée dans la façade jaune poussin de Juliette.

Je découvre avec effarement que ma propre voiture et celle d'Hervé ont glissé sur la restanque du bas, emportées par les précipitations. Et vu la violence des pluies je doute qu'on vienne nous dépanner de suite. Constance tente de me rassurer en m'expliquant que la route pour aller chez moi est moins périlleuse que la sienne, que la voiture est récente et à ses yeux cela semble être deux bons points pour sa survie. Elle a une vision toujours très étrange des choses... comme si le regard qu'elle posait sur le monde était un éternel diagnostic. Je me demande comment elle nous perçoit, nous.

On décide de tous s'entasser dans la 2CV. Je digère lentement le fait que ma focus soit en sale état, je sens la main de ma voisine se glisser dans la mienne et je lui souris. Je crois que mon sourire est de traviole car elle soupire "ah les hommes et leurs bagnoles" j'aimerais bien l'y voir ...

On arrive à descendre d'Aveyrolles en déplaçant quelques troncs d'arbres mais on reste coincé au niveau du pont. Le niveau d'eau a atteint les berges et recouvert le petit pont de pierres.

Je prends mon téléphone, heureusement on capte, j'appelle la clinique de St-Jean et signale notre présence et disponibilité au croisement du trou-du-cul-du-monde et de petaouchnoque. S'ils nous veulent, qu'ils viennent nous chercher.

Si le torrent n'était pas si fort, j'irais piquer un canoë au camping plus bas... l'idée persiste jusqu'à ce que ma raison la trouve totalement idiote. Avec la force du torrent, mes talents de rameur ne me serviraient à rien.

Constance, plus terre à terre, contemple le paysage post apocalyptique pendant que Marco s'est mis en tête de secourir un chat perché sur un arbre.
Ce type est un sur-homme, j'observe avec effarement le chat lui labourer les avants-bras mais lui, non, il ne bronche pas. Ah Si ! Quand Constance le sermonne sur sa conduite. Toutefois, ça ne l'empêche pas d'attraper le chat en bêtifiant.

Quel gâchis de potentiel qu'on soit coincé du mauvais côté.

Une bonne demie-heure plus tard, les pompiers apparaissent de l'autre côté du pont avec la grande échelle. Je ne comprends l'intérêt de la chose que lorsqu'ils arrivent à la caler contre l'arbre où cet andouille de chat est revenu se percher. Et je crois qu'au même moment, je comprends qu'ils imaginent que de un : je vais monter dans l'arbre, et que de deux : je vais traverser le torrent perché sur une échelle branlante. Un rire nerveux m'échappe alors que Super Adler est déjà arrivée en haut de l'arbre.

Note à moi même : renommer Constance dans mon téléphone.

Marco rigole à côté de moi et me fait signe qu'elle est complètement folle mais je vois bien la lueur d'admiration qui danse au fond de ses yeux.

Elle a dû être trapéziste dans une autre vie ma parole ! Je retiens mon souffle en l'observant. Hervé me souffle discrètement qu'il va remonter à Aveyrolles. Il me donne une tape virile.

— Bon courage avec ton vertige !

Merci, me voilà rassuré !

En trois bonds Marco est passé de l'autre côté et moi je réfléchis à nouveau à idée du canoë.

*

Constance

Arrivée de l'autre côté, je me décrispe, j'ai cru que j'allais vomir au milieu du torrent. Je me reprends et offre un sourire radieux à Aimé qui grimpe avec aisance l'arbre. On dirait qu'il n'a pas peur, c'est une chose que j'aime bien chez lui, cette facilité avec laquelle il affronte les évènements de la vie.
Il prend son temps avec calme et sereinité sur l'échelle. Le pompier à côté de moi laissé échapper un gloussement et s'exclaffe.

— Ça va docteur Bastien ?

Je fronce les sourcils, pourquoi se moque t'il, Aimé a l'air de s'en sortir parfaitement. Je ne comprendrais jamais les hommes et leur manque de bienveillance.
Aimé saute à terre, je vois son front perler de sueur.

— File-moi du valium Valentin !

— Ah non, pas avec ce qui t'attend !

Il nous fait monter dans le camion et nous briefe. Marco qui comme d'habitude a tout fait, tout vu leur annonce qu'il était pompier volontaire enfin c'est ce qu'on comprend tous, si ce n'est pas le cas, je n'ai aucun doute sur sa capacité d'adaptation.

— Là-bas, c'est l'apocalypse, le sous-sol a été inondé, nous n'avons pas réussi à joindre deux des chirurgiens et il manque la moitié des effectifs sur le reste de l'équipe soignante. Tout le monde est sur le pied de guerre.

Je respire lentement, qu'est-ce ce-que je fiches ici ! Je suis idiote ou quoi ? Je suis incapable d'y retourner !
Alors que je commence à hyperventiler, Aimé me serre contre lui à m'étouffer. Il chuchotte :

— Si j'ai réussi à traverser ce pont malgré mon vertige Constance, tu pourras rentrer dans cette clinique et faire ce que tu as à faire.

Comme si j'allais gober son histoire de vertige ! Mais, il est tenace et ne me lâche pas.

Sur place c'est Beldari qui m'accueille en nous frayant un passage parmi les blessés et familles qui arrivent en masse aux urgences.

Une petite femme cours derrière lui avec un parapheur.

— Adler, Bastien, vos contrats !

— Vous pensez à tout Beldari.

— Je suis doué pour ça. J'aide mon collègue. Vous devez comprendre que vous ne serez pas payé cher !

— Évidement puisque je me suis portée volontaire.

Je signe son papier idiot et le suit dans les dédales des couloirs, il s'arrête et se tourne vers Aimé.

— Docteur Bastien, je vous laisse aux urgences, bon courage, vous allez en avoir besoin...

Devant notre air intrigué, il précise.

— Un bus scolaire ramenait les enfants de voyage de classe.

— Combien ?

Nos visages se décomposent.

— Une cinquantaine, ils ont percuté un arbre et le car est tombé dans le fossé, les pompiers nous ramènent les enfants au compte goutte mais ils y a de nombreux blessés.

Tout ça pour ça (terminée)Kde žijí příběhy. Začni objevovat