Lettre 11

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Mercredi 14 mars 2018

Sylvie,
À l'heure où je vous écris, je suis rentré chez moi depuis trois jours. Mes bagages ne sont pas défaits, mes parents regardent la télé en bas, votre lettre est ouverte sur mon bureau, et moi, je suis allongé sur mon lit. Je me sens vide. Vous savez, quand tout vous traverse sans vous atteindre. C'est au delà de la tristesse, c'est de l'oublie de sentiments pour ne pas souffrir. Et je déteste me sentir comme ça. Je n'arrive pas à pleurer pour évacuer, je ne veux pas crier contre le monde entier, je ne suis pas en colère, je n'arrive pas à être joyeux. Les émotions s'effacent. Comme si, après avoir trop été présente, elles décidaient de s'en aller.

Il y a quelques années, quand je traversais une phase comme celle-ci, ma psy m'avait un jour dit : "parle de ce qui a déclenché ce vide, ça peut t'aider." Je n'ai aucune envie de me confier à elle cette fois-ci, alors je me tourne vers vous. Vous méritez sûrement de comprendre.

Je ne vais pas passer par quatre chemin. Metias était mon copain, et il est mort. Voila, c'est écrit, de manière indélébile. Qu'il soit partie est déjà une chose, mais je suis responsable de sa mort.

C'était le vingt-trois décembre au soir. Il neigeait, comme il n'avait jamais neigé. J'aurais été frigorifié en temps normal, mais j'étais en colère et je hurlais. Metias voulait impérativement que l'on officialise notre couple, au delà du cercle amicale, et moi, je refusais. Ce qui est ironique, c'est que maintenant, tout le lycée sait. Quoi qu'il en soit, je refusais que tout le monde soit au courant, je ne voulais surtout pas que mes parents l'apprennent, j'avais peur de leur réaction (autre fait amusant, ils l'ont très bien pris quand ils ont sût. Si ce n'est pas ironique). J'étais avec Metias depuis un an. Nous avions certes eu quelques disputes, mais aucune aussi violente. Je lui ai reproché de forcer, que tous ses grands discours sur l'acceptation de soit et le j'm'enfoutisme à propos du regard des autres n'étaient que du blabla, qu'il voulait juste montrer qu'il n'était pas célib et tout un tas de conneries. Il aurait aimé que je vienne à son repas de famille le lendemain, ou inversement. Et simplement par peur d'être jugé, je l'ai repoussé et je lui ai balancé des horreurs. Quand j'ai eu fini d'hurler, il m'a regardé droit dans les yeux, il a tourné les talons, et il est monté dans sa voiture. Je l'ai vu manœuvrer et sortir du parking, et, du regard, j'ai suivi ses phares, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que deux points lumineux noyer dans un océan de neige.
Le lendemain, je ne l'ai pas appelé. Lui non plus. Silence-radio pendant tout une semaine. Ce n'est qu'après, quand je suis tombé sur la page Facebook d'un de ses potes que j'ai compris. Il n'appellerait pas. Et il ne reviendrait pas non plus.

Voila Sylvie, ce qui s'est passé le soir du vingt-trois décembre. Maintenant, par peur de ne pas vous envoyer cette lettre, je vais la mettre dans une enveloppe, écrire votre adresse et la timbrer, puis marcher jusqu'à la boite aux lettres au bout de ma rue, et la glisser dedans. De cette manière, je ne pourrais pas revenir sur ma décision.

Morgan.e.

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Taquapax

Morgan.e.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant