Lettre 16

135 35 1
                                    

25 avril 2018

Morgan(e),

« Chez Jean » est un très bon établissement, leur café est incroyable. Et je crois que la majorité des personnes de cette ville ont vécus de grands moments de leur vie là-bas. Moi-même j'y ai passé une grande partie de mon adolescence. C'était une sorte de refuge dans lequel ont se rendait dès qu'on avait un peu de monnaie et qu'il faisait gris. Je l'ai toujours connu, quand j'étais enfant j'y allais avec mes parents et dès mon entrée en cinquième, mes amies et moi en avons fait notre repère.

Le temps à passé, j'ai grandis, et j'ai continué à fréquenté ce magnifique lieu. Après mon entrée en seconde j'y retrouvais mes amies des autres lycées, j'y allais avec mes nouvelles camarades de classe. Tout allais bien, nous accrochions de temps à autres des photos de nous, et on s'amusait toujours à regarder celles des autres. On adorait voir grandir les autres gens en même temps que nous sur ce mur.

Un jour, il est arrivé dans ce café. Je me souviens qu'il faisait rudement froid. Il s'est assis, a commandé un chocolat chaud et l'a dégusté en regardant toute la décoration de « Chez Jean ». Je suis tombé sous le charme de ce bel inconnu. J'étais avec Mélanie, une veille amie, et elle a tout de suite compris qu'il me plaisait. Alors, elle m'a souris et est partie.Comme ça. Et moi, je suis restée bêtement sur ma chaise. Le garçon était en face de moi et me souriait.

Et c'est drôle mais c'est comme ça que j'ai rencontré le père de mon enfant. On était en novembre, je venais de rentrer au lycée et il est arrivé dans ma vie. Par la suite, on se retrouvait presque tous les jours « chez jean », pour vivre notre amour de jeunes gens innocents. On a même finit par punaiser notre photo, tout près de celles qui représentaient mes amies et moi.

C'est à ce même endroit que je l'ai convoqué quelques semaines après. Il neigeait. Il est arrivé souriant, il m'a embrassé et a m'a parlé. Et moi, je ne l'écoutais pas. J'étais terrifié par la nouvelle que j'avais à lui annoncer. Il s'en est rendu compte puisqu'il m'a regardé et il m'a demandé ce que j'avais. Je me souviens que je tremblais comme une feuille. Et lui, il me regardait avec de yeux inquiets. J'ai pris mon courage à deux mains et je lui ai tout avoué. « Tu vas être papa ». Il aurait dû être heureux. Oui, il l'aurait sans doute été si nous avions eu dix ans de plus. Mais il ne l'étais pas. Il a semblé réfléchir, longtemps. Et je le questionnais, je pleurais : « Qu'est-ce qu'on va faire ? », il ne répondait pas. Puis, il s'est levé précipitamment et est partit. Je ne l'ai jamais revu.

Et les jours ont passés, peu à peu j'ai abandonné cet endroit qui me rappelait tous mes jours heureux. Je n'avais plus personne avec qui y aller, discuter et prendre une photo pour compléter le mur. Lorsque je m'installais à une table, seule, j'avais cette impression insupportable qui me rongeait, je sentais tous les regards de ces gens sur moi, ces regards de jugement que je déteste et dont j'étais victime trop souvent à cette époque. Et toute ma joie passée me revenait à la figure. Les portraits de moi, souriante, heureuse me narguaient, me montraient à quel point j'avais été délaissée. Et celle avec ce garçon me regardant les yeux brillants me rappelaient combien j'avais été naïve.

Et à cette époque, quand j'étais enceinte, j'avais du mal à y rester. Ensuite, après mon avortement, je n'y ai plus remis les pieds pendant des années. Tout était trop lié. Ce n'est que des années plus tard que j'ai osé franchir de nouveau la porte. Quand j'y suis retourné, j'ai remarqué que mes photos avaient disparues sous un flot incessant de nouvelles. Et j'ai trouvé ça bien. Ca m'a rassuré. De me dire que le temps passe et que les pages se tournent. Que les gens oublient qui vous êtes, que vous retournez un jour ou l'autre à l'anonymat. Oui, me dire que personne ne se rappelait de ce drame m'a réconforté. Parce que j'ai changé, cette épreuve m'a changé.

Alors oui, je connais « chez jean », cet un merveilleux endroit. Tout le monde y créer son histoire et je souhaite de tout cœur que la votre soit plus heureuse que la mienne.

Sylvie.

Bonne année a vous

Morgan.e.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant