Lettre 17

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2 Mai 2018

Sylvie,

Je suis désolé(e) que Chez Jean vous évoque ce genre de souvenir. Votre histoire, m'a touché, et je dois avouer que je n'ai pas pu m'empêcher de regarder tous les Polaroïds un à un, en passant dans le petit café, dernièrement. Je me suis dit que peut-être, je verrais une de vos photos. Je me doutes bien que c'est stupide, puisque tous les ans, ils les rangent dans des albums pour laisser place aux nouvelles. Alors j'ai épluché les livres d'il y a plus de dix ans. Bien évidemment, si je ne vous ai pas reconnu, puisque je n'ai aucun moyen autre que mon imagination pour vous dessiner un visage, je me suis amusé plusieurs fois face à me dire face à certaines photos "Tiens, et si c'était Sylvie".

Emilia, la gérante depuis des années, est passée me voir, et quand elle a compris que je m'interessais aux différents albums, elle m'a pausé des questions. Rien d'intrusifs, et même si ça l'avait été, sa gentillesse pousserait n'importe qui à se confier à elle. Elle me connaît, elle m'a vu évoluer depuis des années. Elle m'a également fait remarqué que j'avais fait du chemin.

"Tu sais, m'a-t-elle dit, je me souviens de toi, quand tu avais onze ans, que tu t'asseyais et que tu commandais un chocolat chaud. Je te voyais mal à l'aise avec tout. Tu regardais toujours ton père, comme si tu avais peur, que tu ne comprenais pas. Ça me faisait de la peine de te voir si mal. Et puis, un jour, vers tes quinze ans, tu es venu avec du vernis à ongle. Ce n'était rien, personne ne le remarquait, mais la peinture bleue au bout de tes doigts témoignait que tu commençais enfin à t'autoriser à vivre, à être toi-même. Plus tard, tu es venu complètement maquillé, et avec toi, il y avait ce garçon. Tu lui souriais, et même si au début vos échanges étaient très discrets, on sentait qu'il y avait quelque chose. Et puis, au fur et à mesure, tu t'es de plus en plus accepté, et même quand tu étais avec tes amis, tu te maquillais et te vernissais les ongles. Tu étais resplendissant. Je sais ce qui est arrivé à ton petit copain, et je te présente toutes mes condoléances. Sache que depuis qu'il n'est plus là, je vois bien que tu te rejettes et que tu vas mal, ce que je comprenda. Tu ne te maquilles presque plus. Peut-être devrais-tu réessayer le vernis à ongle, et repartir à la découverte de toi-même."

Et là dessus, elle a posé mon chocolat. Elle allait repartir, mais j'ai commencé à lui parler de vous. Ça m'a surpris, qu'elle se souvienne du temps où vous veniez. Alors, je me suis confiée à elle sur nos échanges. Elle a eu de la peine pour vous, et à trouvé triste que vous ne gardiez comme souvenir de "Chez Jean" plus celui d'une rupture. Je ne lui ai pas parlé de votre enfant, je sais que c'est beaucoup trop personnel.

Nous avons continué à discuter un moment, avant qu'elle ne retourne faite son service. À la fin de notre échange, elle m'a suggéré une chose, et j'ai trouvé l'idée bonne.

Afin que vous vous réconciliez avec votre passé et moi avec mon futur, je vous invite à boire un café ou tout autre boisson le samedi 12 mai, à 14 heures. Je serais le garçon qui portera du vernis rouge.

Morgan.e.

Morgan.e.حيث تعيش القصص. اكتشف الآن