CHAPITRE 2.1 - George et Liam - La Métropole

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La porte du bureau claqua et George se massa l'arête du nez avec exaspération. Il était fatigué. Deux palets rouge vif trônaient, clignotants, sur son bureau. On venait de lui apporter les out-pucks contenants les rapports préliminaires d'Amnesty Intermondial concernant la situation des travailleurs Illyriens sur les chantiers métropolitains... L'organisation avait passé près de deux mois dans la métropole à analyser les conditions de vie des ouvriers, à les interroger, à examiner leurs logements et leur bien-être, et leurs rapports se trouvaient maintenant ici, sur son bureau. George ne se faisait pas trop de soucis, il savait qu'ils seraient bons, mais ces gens étaient-ils toujours obligés de pondre des rapports aussi longs ?

— Monsieur ?

Le visage inquiet de la nouvelle stagiaire apparut à la porte.

— Je ne vous dérange pas ?

— Non, entrez.

Les joues légèrement rosées, elle trottina jusqu'à lui et déposa un petit out-puck noir et bleu brillant sur le bureau. Elle le tapota et une liste de notifications apparut.

— Voilà les rapports du Dr. Basmadjian, dit-elle en pointant du doigt l'icône bleue, celui du Major Vanderbord (icône orange) et vos messages (icône verte). Ah, et je devais vous rappeler votre rendez-vous de demain.

— Merci Salma.

La jeune femme sortit du bureau en trottinant et George prit une grande inspiration pour se redonner du courage. La journée touchait à sa fin mais le boulot n'en finissait pas de s'amonceler. D'un geste, il fit disparaître la liste affichée par le palet. Il aimait son nouveau travail, bien-sûr, il était fier d'être parvenu à l'obtenir. Il n'avait passé le concours que quelques mois plus tôt et l'avait réussi brillamment, ce qui lui avait valu ce poste à la Délégation. Son regard se perdit vers la fenêtre. Le bâtiment qui abritait les bureaux de la Délégation était communément appelé l'Alliance, et ce pour deux raisons ; d'abord pour son rôle de lien entre la Terre et la petite planète XGD-241091, ou Illyr comme l'appelait les autochtones. Toutes les relations entre les deux peuples étaient régulées par la Délégation, qui faisait tout pour que l'Installation continue de s'effectuer sans aucun problème. La seconde raison était plus visuelle ; en effet, le bâtiment avait été construit en anneau autour d'un jardin très aéré dans lequel les employés passaient la plupart de leurs pauses lorsque le temps le permettait. 

Vue de l'extérieur, l'Alliance était magnifique, avec sa façade presque uniquement en verre, se démarquant des bâtiments majoritairement blancs et sobres des alentours. Construite dans les hauteurs de la ville, on pouvait depuis ses étages supérieurs voir presque toute la métropole, le fleuve qui la traversait, les parcs, et même le quarré métropolitain. Les quarrés étaient les quartiers Illyriens des villes Terriennes de la Zone Sécurisée. Quand près de cent ans plus tôt, les premiers explorateurs terriens étaient venus s'installer sur Illyr et avaient commencé la construction de la métropole, les Illyriens qui vivaient dans les triobes les plus proches leur avaient prêté main-forte. Au fil des années, leurs villages s'étaient mués en petites enclaves illyriennes au milieu des villes terriennes ; ainsi étaient nés les quarrés. Ces quartiers, peu étendus, dénotaient par leur architecture particulière. Les Illyriens en effet construisaient tout sur pilotis, pour prendre à la terre, qu'ils considéraient comme sacrée, le moins d'espace possible. C'était aussi pourquoi leurs bâtiments s'élevaient très haut, pour rentabiliser l'espace au sol. 

Les quarrés constituaient, encore aujourd'hui, une véritable attraction touristique, et les visites guidées qui y étaient organisées rapportaient chaque année une petite fortune à l'État.Pour des questions de sécurité, ces quartiers illyriens étaient toutefois tous entourés de murs. On ne pouvait risquer que des touristes imprudents s'y aventurent sans guide... Les Illyriens étaient certes connus pour leur pacifisme, mais ils n'en restaient pas moins des extra-terrestres aux mœurs fort différentes des leurs. Certes, dans la plupart des lieux où les Terriens étaient installés depuis longtemps, leur culture avait depuis longtemps surpassé celle les autochtones. Fascinés par leur mode, leur technologie, leurs usages aussi, les Illyriens avaient imité les Terriens dans bien de aspects. Phénomène intéressant et fortement étudié par les sociologues : il semblait que l'absence de pouvoir central sur Illyr avait largement facilité la domination totale de leur marché...

George s'étira en baillant et sortit de son bureau pour aller chercher un café. La machine donnait vue sur la cour intérieure de l'Alliance. Celle-ci était un lieu particulièrement agréable ; dans le jardin, des bancs et des tables étaient disposés un peu partout dans l'herbe, tantôt sous de larges parasols colorés, tantôt à l'air libre. C'était le seul endroit du bâtiment dépourvu d'écrans ; ici, pas de nouvelles en direct, pas de publicités intempestives, mais le calme apaisant de la nature. C'était essentiel pour atténuer le stress des travailleurs. Tout au centre, un arbre immense répandait une ombre bienvenue en été de même qu'un abri parfait contre la pluie en cas de mauvais temps. Il était certainement plus que bicentenaire. Son tronc bleuté, haut d'une bonne centaine de mètres, son feuillage d'un rose nacré très pâle et ses fleurs fuchsias par centaines au printemps avaient achevé de parfaire sa légende. C'était une incontestable merveille de la nature que les employés de l'Alliance avaient affectueusement nommé Bob. Pourquoi Bob ? Personne ne le savait plus. Mais le nom sympathique était resté, se transmettant de génération en génération au rythme des arrivées de nouveaux employés..

De retour dans son bureau, Georges jeta un regard au palet qui trônait sur son bureau, clignotant de messages non-lus et dossiers non-ouverts, et soupira. Son regard se porta sur le cadre électronique qui reposait juste à côté, où défilaient des photos de sa jeune épouse. C'était grâce à elle, ce boulot. C'était elle qui l'avait encouragé, poussé même pour qu'il postule. Elle avait toujours cru en lui. Pourtant, il n'était encore personne quand il l'avait rencontrée, et il n'aurait su dire ce qu'elle avait alors vu en lui. Mais il était certain d'une chose : depuis qu'elle était entrée dans sa vie, il avait changé. Lui qui s'était toujours vu comme un pion, il se sentait à présent capable des plus grandes choses ! Bien-sûr, le Département du Travail n'était pas le plus prestigieux de la Délégation, mais c'était déjà bien. Son rêve, c'était de monter encore, jusqu'aux Départements de la Sûreté ou de la Diplomatie, situés dans les étages les plus hauts de l'Alliance. Il y arriverait. Pour elle, avec elle, il y arriverait. Nora...


Une notification lui apparut soudain dans le coin de l'œil. Son système intégré l'informait d'un appel et un sourire éclaira son visage.

— Allo Liam ? Dis-moi. ..... C'est vrai ? Enfin ! ...... Vers quelle heure ? ..... Parfait ! A ce soir alors.

Il raccrocha avec un soupir de satisfaction. Enfin une bonne nouvelle : Liam était rentré de voyage. Les deux hommes se connaissaient depuis leur service militaire et cela faisait maintenant presque deux ans qu'ils étaient venus s'installer sur XGD-241091. Ils étaient les meilleurs amis au monde, malgré toutes leurs différences. D'un naturel calme et discret, George Sanders affichait un physique grand, fin, presque maigre. C'était un beau garçon, sérieux et travailleur. Liam Atterwood quant à lui était plutôt bien bâti, avec une carrure de rugbyman, des yeux clairs et des cheveux toujours en bataille. Né dans une famille extrêmement aisée, il n'avait jamais eu le sens des responsabilités et du travail et passait son temps à voyager. C'était un homme cultivé, à l'aise en société, mais qui recherchait sans cesse l'aventure, l'excitation, l'adrénaline. Quand George et lui s'étaient rencontrés la première fois, ils s'étaient mutuellement détestés. Tout les opposait ; leur parcours éducatif, leur milieu, leurs valeurs... Mais avec le temps et le côtoiement forcé durant leur service militaire, ils avaient appris à se connaître, à se respecter, et même à s'apprécier. 

Avec un nouveau soupir, George réactiva l'out-puck, le connecta à son système intégré et se mit à classer les documents qu'on lui avait apportés. Pourtant, son esprit vagabondait ailleurs... Liam était rentré et il avait quelque chose d'important à lui dire.

Les Bannis - Tome 1; Les premières pierresWhere stories live. Discover now