CHAPITRE 5.2 - Georges et Liam - La Métropole

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                                                                      ***

— Quatre morts seulement, vous imaginez ? Quelle chance... Cela aurait pu être autrement plus dramatique.

George, Nora et Liam étaient attablés autour de trois bières et d'un verre d'eau. Le soir était tombé mais le déraillement restait sur toutes les lèvres. Attablé avec eux, Thomas Mbawe ne répondit guère. Ce sympathique afro-américain qui avait dû arrêter Liam pour ivresse sur la voie publique quelques mois plus tôt avait fini par devenir son ami. C'est que Thomas faisait également partie d'une très grande et riche famille, et son statut de policier, après quatre générations de hauts-gradés de l'armée, lui avait valu l'opprobre familiale et l'exil sur XGD-241091. Les deux jeunes hommes s'étaient compris... Depuis, ils s'étaient souvent revus et Liam lui avait présenté George qui l'appréciait aujourd'hui beaucoup. Thomas se révélait un garçon bourré d'humour, mais également très sérieux et loyal, des qualités que George estimait.

— C'est la ligne la plus fréquentée de la Zone en plus ! ajouta Nora en soupirant. Non vraiment, les secours ont vraiment été efficaces.

— C'est toi qui a couvert l'événement ? demanda Thomas. Je ne t'y ai pas vue.

— Non, figure-toi que la direction a refusé de m'envoyer en « terrain dangereux » à cause de ma petite tumeur.

— No ! Je t'ai déjà demandé de ne pas appeler le bébé comme ça ! soupira George avec un sourire.

La jeune femme rit en caressant son ventre légèrement arrondi. Liam l'observait, un peu déconnecté. Il n'avait pas encore prononcé un mot depuis qu'ils étaient arrivés au bar.

— Bah quoi ? C'est une grosse boule qui grandit à l'intérieur de moi, c'est quasiment la même chose.

— Tu es horrible. Horrible ! Ma femme est un monstre, ajouta-t-il en souriant à ses amis. Mais toi, Tom, tu en sais plus ?

— Certains collègues étaient sur place et... Disons qu'ils sont assez choqués. Semblerait que ce soient les freins qui aient dysfonctionné... Une boucherie il paraît.

— Accident ou... ? demanda George, un peu tendu.

Thomas grimaça.

— Merde... La Rébellion ?

— Quoi ? A l'intérieur de la Zone ? Dans la Métropole ?

Nora posa une main sur sa bouche, affolée.

— On ne sait pas encore. Mais c'est une possibilité envisagée....

— Mais merde ! Quand est-ce que les Délégués vont faire quelque chose ? Qu'attendent-ils ?

George s'énervait, et Nora posa sa main sur sa cuisse pour le calmer.

— La police a effectué quelques arrestations, non ? demanda-t-elle doucement à Thomas.

— Quelques-unes oui... Et la sécurité a été augmentée un peu partout. Mais tout ça, ce sont des précautions, juste des précautions... Au cas où... Mais parlons d'autre chose, d'accord ? suggéra-t-il en souriant. Quelque chose de plus joyeux. Comme la tumeur de Nora par exemple !

— Oh non, tu ne vas pas t'y mettre toi aussi, geignit George en riant.

Nora sourit.

— Tout va très bien. Très très bien !

— Vous ne connaissez toujours pas le sexe ?

— Non ! On garde la surprise, c'est plus gai.

George lui attrapa la main en lui lançant un regard amoureux. Liam détourna le regard.

— Mais dis donc Thomas, à propos de changer de sujet, demanda George, c'était qui la jolie fille avec toi hier ?

— Oooh une fille ? rugit soudain Liam, sortant de sa torpeur avec un enthousiasme un peu exagéré. Raconte-nous donc !

— Voilà la bête qui se réveille, murmura Nora, mi-agacée, mi-amusée.

Thomas hurla de son grand rire si caractéristique.

— Toi alors, tu n'en perds pas une ! Bah... Elle est cool quoi, mais...

— Comment elle est ? Je l'ai pas vue moi ! Montre une photo, vas-y !

Thomas envoya obligeamment une photo-flash sur le système intégré de ses amis. Liam eut une moue appréciative.

— Aah oui, elle a de très jolis...

Il croisa le regard de Nora en relevant la tête.

— ... z'yeux. Elle a de très jolis yeux.

— C'est ça, oui... marmonna Nora avec un petit rire moqueur, aussitôt rejoint par Thomas et George.

La photo s'effaça de leur vision et le sourire de Liam retomba. Il n'y avait aucune méchanceté dans les remarques de la jeune femme, mais il sentait bien qu'elle ne l'aimait pas beaucoup. Il savait qu'elle jugeait son mode de vie trop léger, qu'elle lui en voulait encore d'avoir dragué sa petite sœur le jour de leur mariage... Il n'avait jamais réussi à s'excuser pour cela, il n'avait jamais réussi à lui expliquer... Mais peu importait.

Quand ils se séparèrent ce soir-là, il observa son ami repartir bras-dessus bras-dessous avec sa femme et en ressentit un petit pincement au cœur. Depuis qu'ils se connaissaient, George avait toujours semblé chercher quelque chose, sans trop savoir quoi. Son père était mort quand il était très jeune et sa mère, malheureusement, ne s'en était jamais vraiment remise. A l'annonce de la mort de son mari, Abigail Sanders était montée se réfugier dans sa chambre pour pleurer, et n'en était depuis plus jamais ressortie. Le choc et la douleur l'avaient rendue atone, et totalement indifférente à son fils. Georges avait grandi dans l'espoir de retrouver un jour la mère qu'il avait connue, travaillant sans cesse pour l'impressionner, la rendre fière, avec l'espoir qu'elle revienne enfin à elle, à lui... Sans succès. Peu à peu, cette absence de résonance avait transformé le petit garçon joyeux et entreprenant en homme discret et incertain, quelque part convaincu qu'il n'était « pas assez bien ». George avait toujours été un peu effacé, un peu en retrait, timide et renfermé. Mais sa rencontre avec Nora l'avait transformé ; la jeune femme lui donnait l'attention et l'amour dont il avait toujours été privé et il se révélait enfin. Il était heureux. Et il le méritait...

Avec un petit soupir résigné, Liam enfonça ses mains dans ses poches et se mit en route vers son propre appartement, où personne ne l'attendait. 

Les Bannis - Tome 1; Les premières pierresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant