Les Bannis - Tome 1; Les premières pierres

CHAPITRE 6.2 - Thémaire - La prison

Par petits groupes, les prisonniers furent descendus dans la mine. Une fois au fond, Gilem et Ulliel, comme habitude, se dirigèrent en discutant vers leurs camarades. Les jeunes de la prison s'étaient presque instinctivement regroupés et formaient aujourd'hui un groupe assez soudé. Profitant de leur 'liberté' sous terre, ils avaient décidé de travailler ensemble, jeunes de tous baraquements confondus, dans la même galerie. Ces jeunes n'étaient pas nombreux, peut-être une petite vingtaine, entre quinze et vingt ans. Leur dernière recrue, arrivée depuis un peu plus de quatre semaines, s'appelait Krovani. Depuis qu'il était arrivé, le malheureux devait avoir perdu la moitié de son poids...

Thémaire quant à lui traîna un peu pour observer le nouveau s'enfoncer dans les tréfonds de la mine et disparaître, engouffré par l'obscurité. 

Étrange... Aucune hésitation.

Haussant les épaules, le vieil homme s'en alla de son côté. Deuxième couloir à gauche, premier à droite, troisième à gauche, premier à droite. Cinquième à gauche. Deuxième à gauche. Son espace. La plupart des hommes ici aimaient travailler en groupe pour discuter un peu, mais lui préférait amplement être seul. Il s'était forgé une réputation dans la prison, de « vieux grincheux ». 

Et alors ? 

Oui, il était vieux et oui, il était grincheux, en quoi cela les concernait-il ? Il ne leur demandait rien, et entendait bien que la même courtoisie lui soit retournée.

Le vieil homme prit une profonde inspiration et donna son premier coup de pioche de la journée. 

Tac. 

Il sentit la vibration remonter le long de son bras, jusque dans son dos. 

Tac.

 La pioche rebondit sur la roche dure, l'écaillant à peine. 

Tac. Tac. 

Des petits morceaux tombèrent à ses pieds. 

Tac. Tac. 

Rapidement il s'engonça dans le rythme régulier et étrangement réconfortant des coups de pioches. Il lui permettait de ne plus penser... 

Tac. Tac. Tac. 

Le bruit était constant, un peu comme un mantra. 

Tac. Tac. Tac...

Les heures passaient et se ressemblaient.

Enfin, la sirène de midi se mit à sonner à tout rompre, suivie de l'annonce : « A1, à la nacelle ! » C'était le tour du premier baraquement d'aller chercher son déjeuner. Chacun son tour, pour éviter la cohue et gagner du temps. Thémaire continua donc à travailler. 

Tac. Tac... 

Appel pour les A2... Les A3... 

Tac. Tac. Tac... 

« A8, à la nacelle ! » Son tour, enfin. Thémaire déposa sa pioche et souffla longuement sur ses paumes pour soulager la douleur. Il regarda ses mains noires aux rides creusées, ses paumes couvertes de durillons, ses doigts élargis, ses ongles cassés. Le lot de tout mineur... Autrefois ses mains étaient douces et fines, des mains de littéraire, d'érudit. Aujourd'hui, il ne parviendrait sans doute même plus à tenir un stylo.

Enfin. Peu importe, maintenant...

Dans le couloir central, les hommes déjà épuisés, engourdis et affamés du A8, formaient une file relativement ordonnée. Ils attendaient leur tour, dans un calme las. Certains somnolaient debout, guidés par un camarade, certains discutaient, d'autres marchaient en silence, perdus dans leurs pensées. 

Rapidement, Thémaire aperçut le nouveau. Il était devant lui, à gauche. Il le reconnut à sa carrure large et ses muscles saillants. Les nouveaux se démarquaient toujours par leur santé dans les premières semaines, parfois les premiers mois, pour les plus chanceux. Mais après quelques temps, ils finissaient tous par se fondre dans la masse fantomatique. Le nouveau marchait la tête baissée, calme, comme s'il était là depuis toujours. Quand son tour arriva, il tendit le poignet au gardien qui scanna rapidement son code-barres et lui tendit son repas. Cela ne dura qu'une seconde, mais Thémaire cru déceler dans le regard du maton un éclair de... de quoi exactement, il ne pourrait le dire, mais ce n'était pas normal. Puis ce fut son tour de tendre le poignet pour l'encodage et il perdit le nouveau de vue dans la foule.