CHAPITRE 3.2 - Thémaire - La prison

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La mine, c'était la punition pour leurs crimes. De nombreux estampillés terroristes étaient ici, de même que quelques opposants politiques et agitateurs de foules. La prison était en réalité un camp de travail, construit aux abords d'une mine d'illyrium, un minerai vermeil extrêmement rare et précieux que les Terriens convoitaient. Non seulement ils en faisaient des bijoux précieux, mais surtout, ils l'utilisaient pour fabriquer des puces et cartes mémoires miniatures. Sa rareté et sa fragilité imposaient une extraction manuelle plutôt que mécanique et comme il ne se trouvait que fort profondément sous terre, l'opération était très délicate, et souvent dangereuse. C'était sans doute la raison pour laquelle il avait été décidé que les prisonniers s'en chargeraient ; si l'un ou l'autre mourait dans la mine, la perte ne serait pas bien grande. Et puis surtout, c'était de la main d'œuvre gratuite. 

Tous les matins donc, ils étaient levés aux aurores par une sirène et acheminés comme du bétail jusqu'à l'entrée de la mine dans laquelle ils étaient descendus par un ascenseur à poulie. Ils devaient y rester jusqu'à ce que le quota d'extraction journalier soit atteint, ce qui leur prenait bien souvent toute la journée. Dès que la sirène de fin de journée retentissait, une lumière rouge se mettait à clignoter dans les couloirs, signe qu'il était temps de remonter. Les hommes faisaient alors la queue pour reprendre l'ascenseur. Si tout le monde ne remontait pas, on imposait à une dizaine d'entre eux de redescendre pour chercher le ou les retardataires, tandis que les autres attendaient debout à l'extérieur. Cela n'arrivait presque jamais volontairement, car personne ne voulait infliger cela à ses camardes d'infortune. Bien souvent, si quelqu'un ne remontait pas, c'était qu'il était perdu ou mort quelque part dans un couloir. Alors, pour éviter ce genre d'inconvénient, les prisonniers s'étaient décidés à toujours travailler en groupes, ou au minimum en binômes. Sous terre, ils étaient relativement libres ; jamais les gardiens ne descendaient. Ils étaient surveillés par des caméras infra-rouge dans les couloirs principaux, mais pas dans les petites artères sombres qu'ils creusaient au fur et à mesure. Là, ils s'organisaient comme ils le voulaient, le but restant d'arriver à fournir le quota avant que la nuit ne tombe. Levés avant le soleil, les hommes redoutaient de ne remonter qu'après son coucher. Vivre de pénombre était un plus grand malheur encore que d'être privé de liberté...

Non loin de la bouche de la mine, il y avait deux départs de tapis roulants. L'un, destiné aux gravats vermillon déblayés des galeries – l'illyrium teintait en effet la roche d'une couleur rouge particulièrement frappante –, menait vers un gigantesque trou creusé par des générations de prisonniers avant eux. Aujourd'hui, ce trou était presque rempli et les gravas commençaient à constituer de petits monts écarlates derrière la mine. L'autre tapis, pour les roches prometteuses, menait droit vers la cour Est, réservée aux femmes. Les deux cours étaient séparées par un double mur de barbelés entourant une route macadamisée qui parcourait le terrain dans toute sa longueur. Aucun contact n'était permis entre les hommes et les femmes... D'ailleurs, ils ne les avaient même jamais vues.

Il y avait deux grands bâtiments de béton du côté Est, reliés entre eux par un long couloir ; le bloc B, haut de quatre étages, avec des barreaux à toutes les fenêtres, et le bloc C, haut de seuls deux étages. Le tapis traversait donc la double rangée de fils barbelés qui séparait les deux cours, surplombant la route comme un petit pont et menant droit vers le bloc C. C'était là sans doute que devait être effectué le tri et le raffinage du minerai. Chaque mois, des camions arrivaient pour récupérer le produit fini. Ils entraient vides et ressortaient chargés ; c'était tout ce que Thémaire savait. Ce tapis représentait donc la seule petite interaction que les hommes avaient avec les femmes.

Chaque jour, les hommes y déposaient les roches et les suivaient du regard, espérant apercevoir au travers d'une des fenêtres un visage, un regard... Le poste de « tapissier », comme ils l'appelaient, était assez convoité. C'était un travail rude et difficile pourtant ; quel que soit le temps, qu'il neige, vente, pleuve, ou que le soleil tape sans aucune pitié, il fallait pousser les lourds chariots tout le long des rails depuis la mine jusqu'au tapis, pelleter les pierres et les déposer sur les tapis. Mais au moins, ils étaient à l'air libre, ils voyaient la lumière du jour, et ils avaient l'espoir d'apercevoir les femmes. Ils étaient d'ailleurs nombreux à graver des petits mots sur les roches à leur intention. Quelques-uns, bien-sûr, se laissaient aller à des dessins, légèrement plus graphiques, mais qui pouvait les blâmer...

Chaque soir, les tapissiers étaient questionnés par les autres. Avaient-ils vu quelqu'un ? Avaient-ils réussi à prendre contact ? Et chaque jour, c'étaient les mêmes réponses ; ils avaient vu une ombre, une silhouette à l'une des fenêtres. Certains ajoutaient des détails croustillants d'une paire de seins ou de fesses dénudées apparues derrières les vitres, ce qui plaisait toujours. Bien-sûr ils savaient que c'était impossible, mais ils se plaisaient tout de même à y croire. Le mythe devait perdurer... C'était leur seule distraction, leur seul réconfort dans leur infortune. 

Le soir, quand l'inactivité venait appesantir les muscles endoloris, quand le silence prenait possession des baraquements, le désespoir revenait. Il suintait des murs fins qui laissaient passer les bourrasques de vent glacé, il tombait en gouttes de pluie noire depuis les plafonds percés, il s'infiltrait dans la paille humide de leurs couchettes jusque dans leurs os. C'est dans ces moments qu'ils avaient tendance à penser à leurs familles, à leurs amis, à leurs vies d'hommes libres dont ils avaient été privés. Alors, pour chasser les idées noires, ils pensaient à leurs voisines. Les imaginer, ces femmes, belles, sexy, chaudes et sensuelles, c'était important pour eux. Et puis ils se laissaient rêver à ce qu'elles les observent en retour, à ce qu'elles les admirent... Alors, chaque fois qu'ils passaient sous les hautes fenêtres du bâtiment, les hommes redressaient le dos et marchaient le menton haut et le port fier, malgré la fatigue.

Et puis, au centre du terrain de la prison, entre les deux rangées de barbelés qui entouraient la route, il y avait le bloc D. C'était un bâtiment assez fin et tout en hauteur, composé d'une dizaine d'étages. L'infirmerie y avait été installée aux deux premiers étages, peints d'une croix rouge. L'accès aux étages suivants était interdit ; sans doute s'agissait-il des logements des gardiens ou de quelques bureaux de terriens encravatés que l'on voyait de temps à autre parcourir la cour en voitures blindées. L'une d'elles était particulièrement reconnaissable ; une longue et large voiture noir mat, aux vitres fumées... Personne n'avait jamais vu qui l'occupait. Il y avait un petit parking aménagé au pied de la tour, mais cette voiture-là ne s'y arrêtait jamais. Elle suivait la route qui continuait jusqu'au fond du terrain, plus loin que la mine. 

La rumeur courait donc qu'il existait une cinquième section à la prison...

Les Bannis - Tome 1; Les premières pierresWhere stories live. Discover now